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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Elle l’eût fait comme elle le disait si Jean-Marie n’eût jugé plus prudent de rentrer sa morgue et de parlementer :

— Troc pour troc, maman Françoise, fais ma commission ou je n’épluche rien de rien…

— Encore ?… Et qu’est-ce que tu veux que je lui demande, à M. de Lagardère ?

— Que je fasse partie de ses gens et qu’il m’autorise à porter une épée…

Il avait dit tout cela d’un trait, pour que son courage ne faiblit point, et il n’était pas bien sûr de ne pas recevoir une paire de soufflets pour toute réponse.

Françoise bondit :

— Une épée, à toi !… s’écria-t-elle, à un morveux qui n’a pas un poil de duvet au menton !… Ah ! tu en ferais un bel usage, garnement que tu es !…

— J’en ferais un noble usage, rectifia Berrichon.

— Quoi ?… Tu ne sortiras pas même avec un tournebroche, entends-tu !… pour te faire encore ramasser par le guet… Est-y pas Dieu possible !… Une épée à ça !… Mais mieux vaudrait qu’on m’en donne une à moi, imbécile !

Pendant ce discours, sa colère allait crescendo. Elle empoigna le balai d’une main, les oignons de l’autre et lui frictionna le nez avec ceux-ci :

— Mets-toi là et épluche, ordonna-t-elle, surtout pas un mot, ou gare ton échine !

Et Berrichon éplucha !… Tous ses rêves de gloire s’envolaient avec la fumée des casseroles et, dans un coin, il versait des larmes de dépit que, fort heureusement pour lui, il pouvait mettre sur le compte des oignons.

Sans cela, il est très probable qu’il eût reçu des horions fort préjudiciables à sa dignité de prévôt en herbe.

Inutile d’ajouter qu’il ne se vanta pas de ce succès auprès de ses maîtres et tout au plus s’il eût la pensée de prier Passepoil d’intercéder pour lui auprès de la farouche Françoise.

Dès qu’il osa s’en ouvrir à celui-ci, le Normand se mit à sourire :

— Apparemment que ton idée est bonne, petit, répondit-il après réflexion ; mais il faut attendre. On verra à s’en occuper quand tu auras de la moustache aux lèvres et ce n’est pas encore pour à présent.

Repoussé aussi de ce côté avec perte et fracas, Jean-Marie n’en voulut pas démordre. Il rumina dans sa cervelle de frapper un grand coup et d’aller trouver Aurore elle-même.

— Si elle se moque de moi, songeait-il, j’irai m’adresser à M. le comte. Il vaut mieux avoir affaire au bon Dieu qu’à ses saints et on verra bien si Berrichon n’est pas capable de tenir autre chose qu’un tournebroche.

Malheureusement pour lui, survint le départ subit de Lagardère au moment où il s’éperonnait pour parler, et tous ses beaux projets s’écroulèrent. Il ne lui restait plus en perspective, en dehors des heures où il ferraillait avec les prévôts, que les répugnantes corvées de cuisine auxquelles sa grand’mère allait l’astreindre.

Aussi, pour s’y soustraire, recommença-t-il à rôder dans Paris, armé d’un seul bâton qu’il brandissait au-dessus de sa tête, comme s’il eût transpercé des ennemis imaginaires.

Jean-Marie Berrichon était loin encore d’être un foudre de guerre.