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VII

AMANDES DOUCES !


Dès le lendemain du départ de Lagardère à la suite de Mlle de Montpensier, on put voir, en face de l’hôtel habité par sa fiancée, un grand escogriffe assez mal vêtu venir s’installer à diverses reprises et plusieurs fois par jour, pour en surveiller les abords.

Du moins ce devait être là son occupation cachée, car ses regards ne quittaient la porte que pour se diriger vers les fenêtres. Comme ce manège eût pu paraître étrange s’il n’eût eu un prétexte, l’homme lui en avait donné un.

Il portait, en effet, devant lui, une bannette suspendue à son cou par une lanière de cuir et dans laquelle il vendait des amandes.

Le commerce devait être peu lucratif, à en juger par les loques du marchand, et l’on pouvait même s’étonner que, vu sa haute taille et sa force, il n’eût pas choisi un autre métier.

À cela comme au reste, il avait une réponse, prêt à invoquer une blessure grave dont il boitait très bas quand on le regardait, dont il ne boitait pas du tout quand aucun œil n’était fixé sur lui.

Pour tous, la raison de sa misère était dans la modicité de son gain et dans son infirmité ; mais lui-même ne paraissait s’en plaindre que médiocrement et c’était d’un ton enjoué qu’il criait à pleine voix sa marchandise :

Assez mal vit qui ne s’amende !
Bonnes femmes, où êtes-vous ?
Amendez-vous, amendez-vous !
AmeAmandes douces !

Il parcourait ainsi tout le quartier et, traînant la jambe, venait se reposer sur la borne qu’il avait choisie. Il y demeurait quelquefois des heures entières, se contentant de lancer son cri chaque fois qu’un passant s’approchait.

C’était à tout prendre un bien pauvre hère dont nul ne pouvait prendre ombrage.

Aussi tout se passa-t-il bien pour le pauvre homme pendant quelques jours et peut-être eût-il pu continuer son manège sa vie durant si Cocardasse, qui avait remarqué ces stations prolongées à la même place, ne s’était avisé de les trouver insolites.

— Cornebiou !… dit-il à son ami Passepoil, il y a d’autres bornes ailleurs, tout aussi hautes et aussi dures… Qu’en dis-tu, ma caillou ?

— Péremptoirement, répondit Amable, que l’individu n’intéressait guère, c’est celle-là qu’il préfère, et il a sans doute ses raisons…

— Eh donc ! mon bon, c’est là justement ce qu’il faudra demander à c’ta couquin quand il reviendra.

Seulement le marchand avait soin de disparaître aussitôt que, de son côté,