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LA GRANGE-BATELIÈRE

il voulait à tout prix découvrir son persécuteur et lui infliger un châtiment exemplaire.

La chose n’était rien moins que facile. Cependant si, sur le moment, il n’apercevait jamais âme qui vive, il était bien rare que, dans les environs, lorsqu’il s’en allait en boitant et en maugréant, il ne rencontrât pas Berrichon en train de baguenauder, les deux mains au fond de ses poches.

Mais il avait beau cligner de l’œil de son côté, le rusé matois passait sans même le regarder.

Affirmer que celui-ci était le mystificateur eût été s’avancer un peu loin ; se persuader, d’autre part, qu’il n’était pour rien là-dedans était tout aussi aléatoire. Ce qui fait que, le soir, lorsque la Baleine remontait vers la Grange-Batelière pour y retrouver Gauthier Gendry et reprendre son rôle de bandit armé, la silhouette de Jean-Marie se dressait devant lui comme un redoutable point d’interrogation.

Cependant, sa mission étant de guetter le retour de Lagardère, il n’en était pas moins obligé de braver toutes les avanies, se réservant, quand il aurait découvert l’invisible farceur, de lui faire payer en une seule fois tout ce qu’il aurait subi de sa part.

Cette ténacité commençait à exaspérer Berrichon.

Tout ce qu’il avait fait jusqu’alors n’avait pas abouti, et l’homme ne vidait pas la place.

Il allait falloir corser le programme.

— Ma foi, coûte que coûte, réfléchit-il un matin que le marchand d’amandes venait de se réinstaller héroïquement sur la borne de son supplice, je vais le harceler de plus près et me démasquer, s’il le faut. Il n’en sera que plus furieux d’être joué par moi, et je le défie bien de me prendre.

Sur cette belle résolution, il s’en alla trouver la Baleine à son observatoire.

— Eh ! l’ami, lui dit-il, vous n’auriez pas fait une trouvaille l’autre jour à l’endroit où vous êtes assis ?

Le marchand le regarda de côté :

— Cela dépend de quelle façon, car j’y ai trouvé pas mal de choses auxquelles je ne m’attendais pas.

— Ah bah !… Je veux parler d’un morceau de poix que j’étais chargé de porter à un savetier de mes amis et que j’ai égaré en route… peut-être bien sur cette borne.

— Dis donc, fit la Baleine, est-ce que tu ne l’y aurais pas mis exprès ?

— Pardieu si !… Seulement, vous avez dû vous asseoir dessus, et j’imagine que c’était pour me faire une farce !

— Est-ce que tu aimes les pommes ?

— Pourquoi pas ?

— Tu manges toutes celles qu’on te donne ?

— À peu près…

— Et les oignons ?

— Je ne les digère pas, et il y en a beaucoup comme moi.

— Préférerais-tu les épinards ?

— Cela dépend ; quand ils manquent de beurre, je les passe par la fenêtre.

— Et tu envoies sans doute les chats par le même chemin ?

— Comprends pas !… Est-ce que, par hasard, vous auriez trouvé tout cela sur votre borne ? Si, des fois, elle était ensorcelée, faudrait peut-être