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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Chaverny les regarda d’un air goguenard :

— Vous me cachez quelque chose, mes gaillards. Si vous n’avez pas cherché, il est certain que vous avez dû ne rien voir…

— Oh ! que si ! murmura le Normand dont les yeux se mouillèrent au souvenir de sa nuit.

Le marquis, ne comprenant rien, perdit patience.

— Vive Dieu ! cria-t-il, quel jeu jouez-vous là ? Faudra-t-il vous arracher les paroles de la bouche ?

— Oïmé ! pas n’est besoin, monsieur le marquis, fit le Gascon venant au secours de son prévôt et croyant avoir trouvé un argument solide. Le petit, il s’égare. Nous avons bien cherché, mais pas du bon côté…

— Il me faut des faits ! Où êtes-vous allés ?

À les voir si penauds, Chaverny se doutait bien de quelque aventure. Mais il savait aussi que le Normand tournait pendant une demi-heure autour de la question sans rien avouer. C’est pourquoi il résolut de s’adresser au Gascon, plus loquace et dont la tête était encore quelque peu échauffée par les libations récentes.

— Allons, parle, toi, lui dit-il. Si tu ne dis pas la vérité, je te jure que vous ne sortirez plus d’ici l’un et l’autre ni le jour ni la nuit.

— Puisque vous le voulez, répondit le Gascon, on va tout vous dire… Et, sandiéou ! le rire il va vous gagner !

Passepoil eut beau lui donner un coup de son coude pointu dans les côtes, Cocardasse était lancé ; le diable ne l’eût point arrêté. Combien de fois déjà ne l’a-t-on pas vu jacasser hors de propos ?… Celle-ci du moins, ce n’était pas le cas.

— Or donc, dit-il, que nous allions du côté de la Grange-Batelière et que nous avons rencontré l’Opéra.

— Que me chantes-tu là ?

— La vérité vraie comme me voilà !… Et, pécaïré ! que les jours où il est fermé, comme vous nous l’avez dit hier, cela n’empêche pas Mmes  les actrices de courir le guilledou, pour le plus grand plaisir de Cocardasse et de Passepoil. Vivadiou !… nous avons vu l’Opéra cette nuit, monsieur de Chaverny.

— Ne voudrais-tu pas t’expliquer, par hasard ?

Le Gascon s’expliqua et le fit dans sa langue imagée, entrecoupée d’éclats de rire auxquels se joignait l’hilarité de Chaverny.

— Palsambleu ! s’écria celui-ci, vous ne vous ennuyez pas, vous autres. Mais de tout ceci, il résulte que vous avez fait tout autre chose que ce que vous deviez faire.

— Je m’en doute un peu, répliqua Cocardasse ; cependant nous en serons quittes pour le faire ce soir.

— Croyez-vous donc que vous allez passer ainsi toutes vos nuits dehors ?

— Pas toutes, monsieur le marquis ; mais, ajouta-t-il avec un sérieux comique, les vieilles gens d’épée comme nous, ils ont l’habitude de ne dormir qu’une nuit sur cinq, et si le pitchoun il était là, il vous le dirait tout comme moi, hé donc !

— Cela signifie qu’il faut vous laisser agir à votre guise ?

— Cornébiou ! je crois que c’est mon avis et que le petit il ne me démentira pas… Si nous avions nos coudées franches…