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LA GRANGE-BATELIÈRE

— Ah ! si nous les avions !

— Vous retourneriez à la Grange-Batelière pour y rencontrer l’Opéra ? fit le marquis avec humeur.

— Pécaïré ! ce n’est pas tout les jours fête…

— Oh ! non !… soupira frère Passepoil, les yeux levés au ciel.

— Et pourtant, reprit Cocardasse qui tenait à reconquérir sa liberté, il y a du vrai dans ce que disait monsieur le marquis.

— Ah ! et quoi donc ?… questionna celui-ci.

Le Gascon se décida à brûler ses vaisseaux :

— Il y a, s’écria-t-il que nous irions bien à la Grange-Batelière, mais que l’Opéra n’y sera pour rien… ce qui n’empêche pas qu’il y aura des dames.

— Je m’en doutais…

Le Gascon eut un geste de profonde pitié.

— C’est l’affaire de mon petit prévôt, qui en est toujours pour le sexe. Pendant ce temps, Cocardasse il ouvre l’œil et se moque de la bagatelle. Nous avons manqué notre rendez-vous hier, et sandiéou ! il ne faut pas que nous le manquions ce soir.

— Nous avons donné notre parole, murmura Amable qui, malgré ses fredaines de la nuit précédente, n’oubliait pas la promesse faite à la Paillarde.

— Pécaïre !… interrompit Cocardasse, le cotillon il sera la perte de ce petit !… Quoique çà, c’est presque toujours autour des femmes qu’on trouve ce qu’on cherche et j’ai idée qu’autour de celle-là, nous trouverons quelque chose.

— Il est possible que ce soit des coups d’épée, dit le marquis.

— As pas pur !… C’est plus que probable, mais nous en donnerons plus que nous n’en recevrons et, dans le tas, il y en aura bien pour quelque ennemi de Lagardère.

— Eh bien, soit !… Allez où vous voudrez et surtout rapportez votre peau.

— Pécaïre !… Si la peau des autres elle ne craignait pas plus que la nôtre, je crois bien que les cimetières ils seraient inutiles. Dormez sur vos deux oreilles, monsieur le marquis, Cocardasse et Passepoil ils ne perdront pas les leurs.

Chaverny se rendormit et les prévôts s’en allèrent, enchantés d’avoir eu gain de cause pour l’avenir et de s’en être si bien tirés pour le passé.

— Oïmé !… crois-tu que nous avons enlevé l’affaire ?

— C’est une belle chose que la parole, mon noble ami.

— À qui le dis-tu, ma caillou ?… Si je n’avais pas été prévôt, j’aurais voulu être orateur. Le diable, c’est que ce sont des métiers qui altèrent.

Et comme pour donner plus de sanction à ces paroles, il entraîna son inséparable vers la cuisine, où dame Françoise les réconforta d’une tasse de bouillon. L’un et l’autre en avaient besoin après les péripéties de cette nuit agitée.

— Alors, c’est bien entendu pour ce soir ? dit Amable.

— Vivadiou ! je te crois, et si les dames du Trou-Punais elles n’ont pas les charmes de celles de l’Opéra…

— Toutes les femmes sont belles quand on sait les apprécier, opina frère Passepoil avec conviction.

— Et tous les vins sont bons, couquinasse, quand on a le gosier bien fait… Celui de Cocardasse junior il n’est pas percé en cor de chasse.