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Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/54

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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Yves de Jugan et Raphaël Pinto suivaient cette scène avec intérêt. Quant aux servantes, bien qu’elles fussent accoutumées aux manières expéditives et guerrières de leur maîtresse, elles l’applaudirent.

— Tu les vois, dit l’hôtelière en montrant les viragos réunies autour d’elle. C’est ma bande, cela, et elle vaut la tienne, car il faudrait pas mal d’hommes pour leur faire peur. Il te faut jaser, mon gaillard, si tu ne veux passer un vilain quart d’heure entre leurs pattes.

Le bandit essaya de s’esquiver. Une des femmes avait vu son mouvement, elle lui barra crânement la porte et, d’un coup de tête dans la poitrine, l’envoya rouler sous la table.

— Bien, dit la Paillarde, cela te rendra docile.

Mais l’homme était têtu :

— Non, je ne parlerai pas, fit-il. Je ne sais pas qui sont ces deux-là. Il désignait du doigt Jugan et Pinto qui se mirent à rire.

— Nous ne sommes ni des exempts, ni des policiers, répondirent-ils, et tu peux raconter ton histoire à ton aise, mon bonhomme. Il est même fort possible qu’elle nous intéresse. À boire, vous autres, cela lui déliera la langue.

Devant les brocs, L’homme se décida :

— Vous avez peut-être vu, commença-t-il, de jolies dames se promener tout l’après-midi aux alentours de la Grange. Elles ont eu le tort d’y rester trop tard et ce n’était pas tout à fait de leur faute, car on avait grisé les cochers qui conduisaient leurs carrosses et scié aux trois quarts un des brancards.

— Qui étaient ces dames ?

— On ne leur a pas demandé leurs noms. Elles avaient de beaux bijoux et de l’or dans leurs poches ; c’est tentant pour ceux qui n’ont rien de tout cela, d’autant plus, que dans notre métier, on ne dédaigne pas une jolie femme à se mettre sous la dent, un soir de brouillard.

— Je comprends, coupa la Paillarde, vous les avez attaquées pour les détrousser… et le reste.

Devant les brocs, l’homme se décida :

— Tu l’as dit, la belle, et le coup était supérieurement organisé. Ce qu’on avait prévu est arrivé : le brancard s’est rompu, le carrosse a versé ; nous sommes alors survenus pour offrir nos services et alléger la charge. C’est même à ce moment que cette chaîne s’est trouvée au bout de mes doigts ; j’ai donné un petit coup sec et de ma main elle est passée dans ma poche.

— Combien étiez-vous dans ce guet-apens ?

— Une douzaine. Il y avait autant de femmes et rien n’empêchait les voitures de s’en retourner à vide. Les dames se seraient retrouvées demain matin sans une égratignure.

— Vous êtes des lâches ! dit la Paillarde. On n’attaque pas des femmes qui n’ont personne pour les défendre et ne sont pas capables de se défendre elles-mêmes. Il vous en aurait cuit de vous attaquer à nous autres.

— C’est possible, mais quant à celles-là, tu en parles à ton aise, la bourgeoise. Celles qui ont peur du loup n’ont qu’à pas venir se fourrer dans sa gueule. Pour nous autres, tout gibier est bon, surtout quand il a la peau douce et la bourse garnie.

— Enfin, que s’est-il passé ?

— Il s’est passé que nous n’ayons eu ni femmes ni argent et que cinq