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LA GRANGE-BATELIÈRE

des nôtres sont restés sur le carreau, après qu’une moitié avait décampé.

— Une moitié, plus un, et c’est toi…

— Tu sais compter, la belle. Comme j’étais le dernier, je n’ai pas jugé à propos de compléter la demi-douzaine de blessés ou de morts. J’ai gagné au large et me voilà.

— C’est bien dommage… Dis-moi, qui donc vous a si bien caressé les côtes ? Je ne suppose pas que ce soient les dames que vous dévalisiez ?

— Il a suffi de deux hommes, ou plutôt de deux démons. Ah ! ceux-là, je vous en réponds, savent manier une épée.

Yves de Jugan et Raphaël Pinto échangèrent un coup d’œil :

— Comment étaient ces deux hommes ? demandèrent-ils presque simultanément.

— Il y avait surtout un grand escogriffe qui poussait des jurons formidables, et s’y entendait à vous envoyer de son fer dans la poitrine ou bien au milieu du front !

— Cocardasse ! murmura Pinto à l’oreille de son voisin.

— Et l’autre n’était pas en reste, reprit l’homme. C’était une sorte de gringalet qu’on aurait dit monté sur des ressorts d’acier. Celui-là ne disait rien : son épée parlait pour lui.

— Passepoil ! dit cette fois Jugan à l’oreille de Pinto.

— Je ne sais, poursuivit le bandit, d’où sortaient ces deux coquins, et je n’irai pas m’enquérir de leur adresse. D’ailleurs, je ne les rencontrerai peut-être jamais, car…

— La Paillarde lui posa la main sur l’épaule ; elle aussi avait deviné de qui il était question.

— Que veux-tu dire ? s’écria-t-elle.

— Dame !… Ils ont donné pas mal de coups d’épée, mais ils ont dû aussi en recevoir et il n’y aurait rien d’impossible à ce qu’à cette heure, ils soient en train de crever auprès de ceux qu’ils ont si malmenés… Je n’ai pas attendu pour voir ce qu’il en était.

— Gredin ! gronda la Paillarde, s’il leur est arrivé malheur, tu paieras pour les autres…

— Eh quoi ?… Vous les connaissez donc ?…

— Nous les attendons ici depuis près de deux heures… C’est grand dommage qu’ils ne vous aient pas mis tous en broche comme des poulets, toi le premier.

— Ah ! pardon !… c’est fort heureux pour moi et pour vous aussi ; car alors je n’aurais pas pu vous dire ce qui a eu lieu et cela ne les aurait pas empêchés d’être blessés ou morts, s’ils le sont.

— C’est ce que je veux savoir ! dit la Paillarde après s’être frappé le front. Tu vas nous y conduire. D’abord, donne-moi la chaîne que tu avais tout à l’heure.

— Un moment ; je n’ai pas bu pour ce qu’elle vaut.

— Assez de réflexions !… Donne, ou sinon tu vas aller rejoindre les autres. Le bandit vit bien qu’il fallait s’exécuter et la chaîne de cou de Cidalise passa dans les mains de la Paillarde qui, dès le lendemain, devait s’en orner la gorge.

Yves de Jugan s’esquiva quelques minutes pour prévenir Gendry de ce qui se passait, et celui-ci se prépara à les rejoindre, comme par hasard, avec la