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COCARDASSE ET PASSEPOIL

De-ci de-là se creusaient de grands trous d’eau et de boue, infects cloaques autour desquels s’ébattaient des nuées de petits mendiants, rejetons des cagoux, marcandiers, réfodés, malingreux et capons, piètres, franc-mitoux et polissons, callots, hubains, sabouleux, coquillards et courtaux de boutange, toute cette théorie des gueux qu’on avait essayé vainement de parquer jadis à l’Hôpital général, et qui préféraient à un lit d’asile la liberté dans la fange.

Le soleil ne se levait jamais sans qu’on retirât de l’égout quelques ivrognes qui y étaient tombés en descendant des Porcherons ou en sortant des cabarets de la courtille Coquenard. Ceux qui ne s’y étaient pas noyés tout net y avaient tout au moins passé la nuit dans l’ordure.

Pour toutes ces raisons, et pour d’autres encore, on se souciait peu de construire dans ce quartier fangeux qui n’offrait ni salubrité, ni sécurité et qui servait à Paris de dépotoir, tant pour y recueillir ses immondices que les rebuts de sa société.

Il est donc particulièrement dangereux de s’y attarder, surtout aux environs de la Croix-Cadet ou de la chaussée Sainte-Anne, voire même à la Nouvelle-France, qui est aujourd’hui le Faubourg Poissonnière, un des quartiers les plus vivants et les plus populeux de Paris.

Le moindre risque qu’on y courût était d’être dévalisé, quelquefois même très poliment.

Après la Fronde, M. de Turenne en avait fait l’expérience et comme la bourse qu’il portait n’était pas suffisamment garnie vu la qualité du personnage, il dut donner sa parole de remettre une somme égale à celui qui se présenterait le lendemain chez lui pour la recevoir. On le laissa donc aller sans le molester en quoi que ce fût, et le lendemain il reçut le délégué de messieurs les bandits qui venait lui rappeler sa promesse et remporta l’argent.

De telles traditions ne pouvaient se perdre, et à l’époque où se passe notre récit, il n’y avait rien de changé, sinon que les malandrins mettaient moins de courtoisie à détrousser les Parisiens et qu’il en cuisait à ceux-ci lorsqu’ils avaient la velléité de protester.

Les chevaliers de la Pègre se tenaient donc cachés tout le jour dans les carrières de Montmartre ou dans les cabarets, tandis que leurs femmes et leurs enfants mendiaient ou barbotaient dans le voisinage de l’égout. Mais dès que venait le soir, ils descendaient eux-mêmes vers la Grange-Batelière et chaque voiture qui passait en trouvait une bande qui lui barrait la route, l’épée ou le poignard à la main.

S’il s’agissait d’un carrosse de grand seigneur, — ce qui arrivait fort rarement, la noblesse ne s’aventurant guère dans ces parages après le coucher du soleil, — l’aubaine n’en était que meilleure et c’était plaisir de voir avec quelle désinvolture on détroussait un duc et pair.

Quelques années plus tard, toute cette racaille devait être expulsée par une autre catégorie de voleurs encore plus redoutable pour les bourses, s’il est possible, car celle-ci, protégée et puissante, allait être armée pour dévaliser en grand, non seulement les particuliers, mais le royaume.

En effet, le domaine des spadassins de bas étage, des francs-mitoux et des courtaux était destiné à devenir celui des fermiers généraux qui y bâtirent leurs maisons de campagne.

Pour l’instant, autour de la courtille Coquenard s’élevaient quantité d’au-