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LA GRANGE-BATELIÈRE

berges qui chacune avait sa clientèle particulière et où, toutefois, il eût été fort difficile de découvrir un honnête homme.

Inutile de dire que les rivalités de métier et de corporation étaient une cause perpétuelle de rixes qui souvent entraînaient mort d’homme. On ne s’en préoccupait guère, l’égout étant là pour faire disparaître les cadavres.

Or, deux surtout de ces auberges jouissaient d’une réputation exceptionnelle. Comme elles se faisaient à peu près face, elles n’en étaient que mieux rivales : la première s’appelait le Cabaret de Crèvepanse et l’autre avait pour enseigne : Au Trou-Punais.

Le bouge de Crèvepanse était le rendez-vous spécial des bretteurs et coupe-jarrets. Une vieille colichemarde rouillée pendait en grinçant au-dessus de la porte, et nul n’avait le droit de franchir le seuil s’il ne portait au côté une épée prête à toutes les besognes.

Une sorte de franc-maçonnerie de la rapière tenait là ses assises. Pour y être admis, on devait faire preuve de trois assassinats pour le moins, sans compter les vols, les rapts et tout ce qui s’ensuit.

Le chef de cette redoutable association était élu à vie. Ce qui ne signifiait pas pourtant qu’il dût garder longtemps son pouvoir ; les affaires dans lesquelles il devait donner de sa personne étaient assez nombreuses et assez périlleuses.

Le grand maître d’alors était un nommé Blancrochet, un des plus redoutables ferrailleurs de l’époque qui, avec le petit Daubri pour lieutenant, se donnait les gants de tenir académie de bottes secrètes et de coups de Jarnac.

L’hôtelier était lui-même un ancien spadassin mis à mal, qui avait laissé son poignet droit dans une bagarre. Cela, d’ailleurs, ne le gênait en rien pour boire et encore moins pour planter, de sa main gauche, une dague entre les deux épaules de ceux qu’il était chargé d’expédier dans l’autre monde.

Deux ou trois valets plus ou moins éclopés complétaient le personnel, car aucune femme n’était admise dans ce repaire où se tramaient constamment les plus audacieux attentats.

Pour ne pas avoir à couper la langue à quelque bavarde, l’hôtelier avait jugé plus simple de bannir complètement le sexe dont la discrétion ne fut jamais l’apanage, et il poussait même la précaution jusqu’à avoir le plus souvent des muets comme serviteurs.

C’était donc là une maison fort bien tenue au point de vue de ce qui s’y passait, et il était bien rare qu’une semaine s’écoulât sans que, pour justifier l’enseigne, on n’y crevât quelque panse.

Le Trou-Punais devait son nom à un cloaque qui, d’un côté, en baignait les murs et dont se dégageait, pendant l’été, une odeur de pourriture très accentuée. Quand plus tard on le dessécha, on y trouva certains ossements qui avaient bien pu appartenir à des chrétiens, mais ce furent les clients du cabaret de Crèvepanse qui furent accusés de les avoir mis là.

Était-ce vrai ? Était-ce faux ? Il n’importe ! « Bonne réputation vaut richesse », dit un vieux proverbe ; or, les habitués du tapis franc pouvaient endosser cette accusation sans que leur réputation eût à en souffrir.

À l’encontre de sa rivale, l’auberge du Trou-Punais n’était tenu que par des femmes, ce qui ne prouvait pas qu’elles eussent quelque chose à redouter de leurs voisins d’en face. Il y avait toujours dans la maison des pistolets