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COCARDASSE ET PASSEPOIL

— Enfin, vous voilà, dit la Paillarde en se précipitant à leur rencontre ; et sains et saufs, à ce que je vois.

— Ver ?… Pourquoi n’en serait-il pas ainsi ?

— Vous n’êtes blessés ni l’un ni l’autre ? À cette question, les deux maîtres d’armes se regardèrent, et Passepoil crut devoir déclamer sur un mode tendre, en se touchant la poitrine :

— Blessé au cœur, si fait, ô Vénus !

— Caramba ! gronda Cocardasse avec amertume ; cette fougasse, il ne saura jamais commander à ses passions !

Qui donc se serait permis de faire un accroc à notre basane ? ajouta-t-il en s’adressant à l’hôtelière.

— Ne vous défendez pas… fit celle-ci. Nous savons que vous vous êtes battus comme des lions, pas plus tard qu’hier soir, et que vous avez sauvé la vie à de jolies dames.

— Pécaïré !… c’ta couquin de Passepoil et moi nous n’avons jamais permis qu’on manque de respect au sexe en notre présence… Mais cela ne nous dit pas comment vous avez su la chose. La Paillarde attira sur son giron le tendre Passepoil qui n’eut garde de protester :

— C’est bien, mon poulet, ce que tu as fait là, lui dit-elle d’une voix qu’elle s’efforçait de rendre câline. Mais j’ai eu une belle peur pour toi et pour ton camarade.

— À propos de quoi ? demanda le Normand, vaguement inquiet de voir la femme au courant des événements de la veille.

— On nous avait dit que vous étiez blessés… peut-être tués, et nous sommes partis aussitôt à votre recherche pour vous porter secours. Tout est pour le mieux, puisque vous voilà bien portants.

— Cornébiou !… quel est le bélître qui vous avait annoncé cette bagasse de nouvelle ? Il ne savait donc pas, celui-là, que Pétronille elle est fée ?

— Vous avez donc fait un pacte avec le diable ? demanda Yves de Jugan, sur le front duquel se creusa un pli d’inquiétude.

— Té !… nous ne le connaissons pas, mais nous envoyons tellement de gredins à sa chaudière que le malin il ne songe guère à se priver de nos services.

— Vous en avez déjà tué beaucoup ? questionna Pinto à son tour.

— Pas encore tant que nous en tuerons, mon péquiou.

— Nous ne les comptons plus, c’était trop fatigant, ajouta négligemment Passepoil qui voulait se mettre au diapason de son ami et gagner dans l’estime de celle qu’en son for intérieur il qualifiait de « reine des amours ».

— Et ce qu’il y a de plaisant, reprit le Gascon, c’est que les couquins ils viennent d’eux-mêmes se mettre au bout de notre épée, comme des bestioles autour d’une lumière. M’est avis même qu’il y en a quelques-uns pour le moment qui sont tout prêts à y venir et qui y perdront plus que leurs ailes. Cette allusion jeta un certain trouble dans l’esprit des deux jeunes gens dont les regards se croisèrent.

— Vous savez où les trouver, ceux-là ? demanda Yves de Jugan.

— Hé ! mon bon, si nous le savions, il y a longtemps qu’ils auraient fini de rire. D’ailleurs, cela nous est égal, nous sommes certains qu’ils y viendront bien tout seuls. On n’évite pas son sort. Tenez, je ne donnerais pas quatre sols du temps qu’il leur reste à vivre.