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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Néanmoins, cette manœuvre n’échappait pas à la Cauchoise qui, d’un côté eût voulu la déjouer et de l’autre y voyait une chance de salut. Bien qu’elle redoutât ce qui aurait lieu si Passepoil passait la nuit à l’auberge, elle songeait que l’ivresse de son compagnon les empêcherait tous deux d’en sortir avant le jour.

Les heures s’écoulaient… Les poches des prévôts se vidaient assez rapidement pour aller remplir celles de la Paillarde, sans compter les quelques écus qui tombaient par hasard dans l’escarcelle de Jugan et de son acolyte. Mais les perdants étaient beaux joueurs : pourvu que Cocardasse eût à boire et que Passepoil échangeât son argent contre un sourire, tout le monde se trouvait content.

Les servantes avaient fini leur tâche, quelques-unes déjà ronflaient sur les bancs, dans des postures pleines d’abandon.

— Hop !… qu’on s’aille coucher, s’écria soudain l’hôtelière en donnant du poing sur la table pour réveiller les dormeuses. Elle ajouta :

— Il faut qu’il en reste une pour nous servir… Ce sera toi, Mathurine, car tu ne me parais pas avoir trop sommeil ?…

— Je resterai, répondit celle-ci enchantée.

— C’est bien, ma fille. Voilà ce que c’est que de dormir ses belles nuits… Et la désignant du doigt, elle dit à Amable :

— Vois-tu celle-là, mon joli chevalier, c’est la seule ici qui n’ait pas d’amoureux.

— Ah bah !… fit Passepoil en dévisageant cet oiseau rare. Les femmes pourtant sont faites pour le tendre mal d’aimer, et celle-ci me paraît avoir tout ce qu’il faut pour en goûter.

— Quand tu diras, mon poulet !… Elle est ainsi faite, et si enjôleur que tu sois, je te défierais bien de la mettre en faute.

— Diantre !… Sur quel moule est-elle donc façonnée ?

— Je ne te conseille pas d’aller le lui demander, d’autant plus que, si tu en avais l’intention, c’est moi qui y mettrais bon ordre… Je n’admets pas le partage, sais-tu bien !

— Capédédiou ! gronda le Gascon entre deux gobelets ; alors téné-le bien, belle dame, c’ta couquin, il flambe comme une étoupe !

Pendant cette conversation, que Mathurine avait entendue en entier sans qu’il en parût rien, elle avait tourné le dos de façon à ce que le Normand ne pût voir la rougeur de son visage et surtout pour que cette même rougeur ne fût point remarquée par la Paillarde.

Le principal pour elle était de rester là et que rien ne pût s’y passer sans qu’elle fût à même d’intervenir au moment opportun. Il lui semblait même, qu’à l’occasion, il lui serait facile d’empêcher les prévôts de s’en aller avant le jour ; et si Jugan et Pinto cherchaient à les entraîner au dehors, elle leur apprendrait de la belle façon que leur plan était percé à jour. Maintenant, rassurée, elle alla s’accoter dans un coin et se mit à ravauder des bas, non sans lever quelquefois les yeux pour contempler l’irrésistible Passepoil.