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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Soudain, un cri qui venait de retentir au dehors, cri tout proche, fit bondir Cocardasse et Passepoil, les mit debout comme s’ils eussent été assis sur un tonneau de poudre.

C’était un appel lancé d’une voix sonore :

— À moi… Lagardère !!…

— Caramba !… As-tu entendu, pitchoun ?

— Ventre de biche !… courons !…

Tous deux avaient déjà l’épée à la main. Ils se précipitèrent vers la porte, Jugan et Pinto se regardèrent avec un méchant sourire et poussèrent leurs sièges pour les suivre.

— Vite, messeigneurs, dit le premier, on tue quelqu’un par là.

Mais Mathurine aussi s’était levée d’un bond, et de sa haute taille elle barrait la sortie. Elle saisit Passepoil par le bras et l’arrêta net :

— N’y allez pas, s’écria-t-elle, en saisissant Passepoil par le bras. Au nom du ciel, ne sortez pas d’ici !…

Pour la seconde fois, le cri monta du fond de la Grange-Batelière comme un appel désespéré :

— À moi, Lagardère !

— Sûr que c’est le pitchoun, s’écria Cocardasse en jetant Mathurine de côté d’un coup d’épaule. Jugan et Pinto ne perdaient pas leur temps et mettaient une ardeur bien méritoire à retirer les barres, tandis que la Cauchoise parlementait à la force du poignet avec les prévôts. Lorsque enfin la porte s’ouvrit béante sur la nuit noire, Passepoil se dégagea d’un mouvement de couleuvre, sans brutalité, et bondit derrière son ami, non sans avoir ravi un baiser sur la joue veloutée de la servante, histoire de n’en point perdre l’habitude.

— Restez, restez, cria celle-ci en se tordant les mains de désespoir. Restez ! C’est à votre vie qu’on en veut… Ces deux-là sont des assassins !…

Il était trop tard pour que les prévôts, déjà loin, l’entendissent.

Jugan seul se retourna aux dernières paroles et lança à la pauvre fille un regard haineux.

Un éclair d’énergie farouche illumina alors les yeux de Mathurine. Elle ne fit qu’un saut jusqu’à la Paillarde, lui arracha le pistolet qu’elle portait toujours dans son corsage et, sans apercevoir que l’hôtelière roulait sous la table, elle revint sur la porte, visa Yves de Jugan et fit feu.

Le feutre du jeune homme vola, traversé de part en part.

— Oh ! oh ! grommela-t-il entre ses dents, on te réglera ton compte, à toi, après celui des autres.

Après le coup de feu, pour la troisième fois, l’appel ayant retenti, mais dans la direction opposée, du côté de l’égout de Montmartre, les quatre hommes firent volte-face et reprirent leur course.

Cocardasse était lancé comme un boulet suivi de son alter ego dont les longues jambes s’ouvraient démesurément, il passa entre les apprentis assassins en lançant une kyrielle d’éclatants jurons.

— Cornebiou !… hurla-t-il, tiens bon, pitchoun !…

— Plus vite, plus vite, souffla Passepoil dans ses talons. Il est seul et on peut le frapper par derrière.

Les deux braves ne s’étaient pas demandé comment Lagardère pouvait