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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Et l’émotion le prenant à la gorge, désespéré, il se mit à verser un pleur sur son pauvre ami qui, selon toute apparence, devait avoir cessé de vivre.

— Que vais-je dire à Chaverny ? songea-t-il. Que dira Lagardère à son retour, quand il faudra lui avouer que je n’ai pas su défendre son prévôt ?

L’idée ne lui venait pas d’imputer à Passepoil sa part de l’imprudence qu’ils avaient commise ensemble en venant la nuit dans ce cabaret maudit. Lui seul se chargeait de toute la faute, s’accusait de n’avoir pas écouté Mathurine qui les suppliait de ne pas sortir.

— Tout cela n’aboutit à rien, conclut-il en lui-même, et j’ai beau me lamenter, le pauvre pitchoun il n’est pas en état de me conseiller. Le meilleur est d’aller chercher de l’aide ; je devrais être revenu depuis longtemps.

Il appela encore deux ou trois fois :

— Passepoil, ma caillou !… Je suis là, réponds-moi !…

Un chat-huant fit entendre son ululement sinistre et Cocardasse prit sa course vers la porte de Richelieu, où il savait devoir trouver des hommes de garde qui consentiraient peut-être à l’accompagner avec des torches.

Il ne s’inquiétait ni du flic-flac de l’eau dans ses bottes, ni de ses glissades dans les flaques d’eau et les ornières.

Il allait, les cheveux au vent, du plus vite que le lui permettaient ses grandes jambes, et qui l’eût rencontré ainsi eût pu le prendre pour un personnage macabre tel qu’on en voit dans les fantastiques compositions d’Holbein.

Quand les soldats du poste le virent arriver ainsi, échevelé, ruisselant, leur premier mouvement fut de l’appréhender au collet. À coup sûr ils ne s’étaient pas trouvés depuis longtemps en présence d’un malandrin de si mauvaise allure et celui-ci, assurément, ne pouvait être un honnête homme.

Cependant il répandait autour de lui une odeur si nauséabonde que les plus hardis se reculèrent d’un pas.

— Holà ! s’écria le sergent, d’où sort cet animal et quel tour de coquin vient-il faire ? Ne le laissez pas échapper, vous autres ; s’il fait mine de s’enfuir, donnez-lui de vos piques dans les côtes.

Cocardasse se regarda, à la lueur du lumignon fumeux, et n’eut pas lieu de se trouver fort avenant. Toutefois, il était de ceux qui, dans les circonstances les plus graves et alors que d’autres seraient ridicules, ne dépouillent jamais leur dignité et trouvent le moyen de forcer, sinon le respect, tout au moins l’attention.

S’il ne craignait pas les coups d’estoc, il était bien davantage encore au-dessus du mépris et il se redressa de toute sa taille :

— Mon mignon ! s’écria-t-il, j’avoue que ce n’est pas là la tenue d’un gentilhomme !… Mais ceci ne fait rien à la chose et la faute en est à quatre bandits qui ont profité de la nuit pour m’attaquer… s’ils ont manqué leur coup d’épée, capédébiou ! ils ne m’en ont pas moins envoyé rouler dans l’égout de Montmartre…

— Et que veux-tu que nous y fassions, l’ami ? Tous ceux qui rôdent par là à cette heure y sont exposés. Tes bandits sont loin s’ils ont voulu courir.

Oïmé !… je les connais, répliqua le Gascon, et, foi dé Diou ! je n’ai besoin de personne pour les retrouver et régler mes comptes avec eux. Ce n’est pas pour moi que je viens vous demander votre aide.

— Et pour qui donc ?

— Pour un brave ami à moi, un frère d’armes, que les couquins ils ont