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Conclusion.

Ma conclusion est donc que -ime en v. fr. est d’origine savante et qu’il est primitif seulement dans onzime, dozime (undecimus, duodecimus). Il aurait d’abord donné lieu à la série onzimesezime, puis la série di(s)mesezi(s)me aurait entraîné les ordinaux de dizaines : vinti(s)me. Je rejette les hypothèses de Koeritz d’une influence de prime ou de setime, uitime et celle d’une influence de disme soit à la fois sur tous les adjectifs ordinaux (Horning-Schwan), soit seulement sur ceux de dizaines (Koeritz).

Si ces résultats sont loin d’être assurés, un fait certain en tout cas se dégage de la présente étude : c’est que la finale -ime (plutôt -ime que -isme) se présente pour la première fois au xie siècle (trezime du Pèler., dudzime des Lois) dans la série onzimesezime et qu’elle influence l’ordinal suivant : dis e setme. Il n’est pas complètement assuré que le suffixe des ordinaux de dizaines qui apparaît pour la première fois dans le Comput soit ce même -ime. Il peut être le résultat d’influences multiples, par exemple un compromis entre une forme exclusivement savante -esme et une finale -i(s)me qui se rencontrait alors dans les ordinaux de 10e à 16e. C’est plus tard seulement (2e moitié du xiie s.) que -i(s)me apparaît dans les ordinaux d’unités et là il a pu être motivé à la fois par le -i(s)me de di(s)mesezi(s)me et par celui de vinti(s)me, trenti(s)me, etc.

Un autre fait certain est que disme n’a pas provoqué la série onzimesezime, nous l’avons vu par les traitements dialectaux. On ne pourrait affirmer cependant que nulle part, dans aucun dialecte, une fois cette série créée, elle n’ait pas été influencée dans sa forme par disme (aidé de sisme). C’est ainsi qu’il y a lieu de se demander si onziesme, doziesme, etc. qui apparaissent dans le Rou et dans Troie (voy. plus haut) et déjà dans le Brut (doziesmes) au moins aussi souvent que onzi(s)me, dozi(s)me, etc., ne seraient pas dûs à la forme dialectale de l’Ouest diesme (traitement phonétique de decimus dans une partie de l’Ouest). Ce serait là une explication satisfaisante pour le français postérieur -iesme dont on n’a pas encore trouvé l’origine et qui serait de provenance occidentale. La question mériterait d’être examinée. En ancien wallon également, on trouve une forme -e(m)me, eyme (quaranteime dans le Sermo de sapientia, ap. Köritz, p. 23 ; syesemme, siseme, quatreme, chinquemme, quatreyme ; chinqueymes dans J. de Hemricourt, ap. Doutremont, Ét. sur J. de H., pp. 33 et 41), qui ne peut équivaloir phonétiquement à -ime ni à -ieme et qui décèle le traitement de decimus du Nord wallon (principalement du liégeois).[1] C’est peut-être d’ailleurs -esimus.

  1. Sont peut-être à rapprocher de cette forme : diseme des Saisnes, à côté de sisime du reste : (ap. Knösel), dozemes du Floovent (ib.) qui n’a pas de poids pour le lorrain, en présence des formes du Psautier et du St. Bernard mentionnées supra (quintesme = 15e de la plus ancienne traduction du Lapidaire 742 est tout savant, cp. quintismes de Troie). Ces deux mots sont du reste pris à d’anciennes éditions fort médiocres et peut-être de simples fautes de lecture. Le Girard de Roussillon bourguignon a, à côté de -ime, une forme secondaire -aime, -eime, -eme qui ne doit pas étonner, puisque ce teste présente pour -in, -ine aussi la graphie -ain, -aine (Breuer, Sprachl. Untersuch. des G. de Ross., Bonn, 1884, §§ 31 a, 111 et 39 ; Breuer voit erronément dans -aime -esimus.