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ESCHYLE.

lion transperce la supplication. La main du guerrier perce dans ces duels de paroles, elle manie des glaives et tient des poignées. Les récits encombrent son drame, les contreforts de l’épopée s’y prolongent tel morceau des Perses et des Sept Chefs semble le raccourci d’un chant de l’Iliade. Mais le ton de ces narrations est d’une énergie si précise, d’une véhémence si brûlante, d’un relief si saisissant et si fort, qu’elles équivalent à l’action montrée. Le passé devient le présent, le fait éloigné se rapproche, la bataille envahit la scène, les mots se font hommes et coursiers, flots et poussière, armes et navires ; le sépulcre même rend ses morts. — Les Évocateurs, c’était le titre d’une des tragédies disparues d’Eschyle, et c’est le nom que pourraient porter tous ses Messagers et tous ses Héraults. Son Chœur lui-même est si unanime qu’il semble concentré dans un être unique. Voix des dieux ou voix du peuple, il sort d’une foule qui n’a qu’une bouche et qu’une âme. Groupe fait homme, c’est avec raison que les acteurs le tutoient, et qu’il parle à la première personne du verbe, comme une seule femme ou un seul vieillard.

Ce qui donne encore à la tragédie d’Eschyle sa physionomie étonnante, c’est le caractère de sa religion plus profonde et plus mystérieuse que celle de son temps. Le vieux poète allait évidemment la puiser à des sources comblées ou presque taries. Il