Page:Paul de Saint-Victor - Les deux masques, tome 1.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
LES PERSES D’ESCHYLE.

L’autorité du mort s’ajoute à la majesté du vieux roi. Quel porte-voix que l’ouverture d’un tombeau ! Mais si grand et sage qu’il paraisse, Darius reste pourtant une Ombre, un Revenant de la terre qui va le reprendre. On le sent détaché des choses, désintéressé de la vie. Les passions n’agitent plus sa résignation drapée dans les plis tranquilles du linceul. Sa voix a quelque chose de lent et de sourd, comme si elle parcourait un espace obscur avant d’arriver à ceux qui l’écoutent. Il parle aux Vieillards d’une rive à l’autre ; le fleuve de la vie qu’il a passé roule entre eux. Il y a de la cendre mêlée à ses paroles, l’amère poussière que recèlent, comme les fruits de la Mer Morte biblique, les grenades qui croissent dans les jardins de l’Hadès. L’illusion n’a plus de prise sur l’être illusoire. Aux premières plaintes d’Atossa, lui a rappelé que « la destinée des hommes est de souffrir, et que des maux innombrables sortent pour eux de la terre et de la mer, quand ils ont longtemps vécu ». Si l’éclair prophétique qui découvre l’avenir humain, illumine son sépulcre ouvert, il n’en rapporte aucune tueur sur la vie future. C’est bien le spectre homérique, dissous dans les ténèbres, épais et flottant dans une forme vaine, hôte dépouillé « d’un lieu sans bonheur ». Comme l’Achille de l’Odyssée, Darius, honoré et puissant encore chez les morts,