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ESCHYLE.

pleins de clous et d’écrous, traînant après lui la longue brasse des chaînes qui garrotteront le colosse. La Force reste muette, étant inconsciente et irresponsable : on ne distingue guère plus sa figure qu’on n’entend sa voix ; ce n’est qu’un valet de bourreau vu de dos. Tout au contraire, la Puissance s’étale et s’agite avec une sorte d’emphase démoniaque. Elle est l’attribut incarné de Zeus, son émanation violente, son Verbe brutal. Le poète a donné une réalité terrible à cet être abstrait ; l’arrogance du favori joint en lui à la cruauté du licteur. Il affecte une méchanceté surhumaine, il grossit comme un porte-voix les ordres du maître, il parle au dieu qu’il mène à sa suite, comme à un tortionnaire soldé pour sa tâche. — « Fais ce que le Père t’ordonne d’accomplir ! Enchaîne ce malfaiteur aux roches escarpées… Châtie-le d’avoir outragé les dieux… Qu’il apprenne a respecter la tyrannie (τυραννίδα) de Zeus, et à ne plus tant aimer les hommes. » — L’atroce vice-dieu cherche même à exciter bassement Héphestos contre le captif : — « Ne t’a-t-il pas volé ta fleur ? La splendeur du feu qui crée tout, il l’a transmise aux mortels. »

Le bon Héphestos répugne fort à l’affreuse corvée que l’Olympien lui inflige ; il se rappelle sa parenté cosmique avec Prométhée. Frères jumeaux à l’origine, issus du même éclair, nés dans le même âtre,