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PROMÉTHÉE ENCHAÎNÉ.

d’un songe terrifiant. Nul autre abri due des antres chargés de ténèbres, ou des tanières souterraines. Les saisons tournaient confusément devant eux ; ils n’en ressentaient que le froid et que la chialeur, incapables de les dépouiller de leurs fruits ou de saisir leurs récoltes. Lucrèce, trois siècles après, ne peindra pas sous des couleurs plus lugubres, l’enfance infirme du genre humain. Cette tradition d’un drame fabuleux contient d’ailleurs l’histoire de la vie sauvage. La science moderne a précisé les lignes du sombre tableau trace par Eschyle. Les cavernes du globe primitif se sont entr’ouvertes ; elles ont exhumé l’homme fossile au crâne étroit et aux membres grêles, gisant parmi les ossements des monstres, dans la fosse commune de l’Époque glaciaire.

Prométhée poursuit son récit. Il surgit en agitant sa tige enflammée, au milieu de cette race obscure, et la lumière se lève sur elle comme l’aurore sur la nuit. Elle éveille l’intelligence dans les cerveaux engourdis des hommes, leurs yeux s’éclairent et leurs esprits s’épanouissent. Un souffle d’affranchissement les relève, l’instinct royal qui couvait en eux se fait jour. L’initiateur divin mène, de front pour eux, toutes les œuvres et tous les travaux. Il courbe sous le joug le bœuf du labour, il attelle au char le cheval dompté par le frein, il lance sur les eaux « cet autre char du navigateur, le navire qui vole avec des voiles » ;