Page:Paul de Saint-Victor - Les deux masques, tome 1.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
ESCHYLE.

ils honoraient non plus Bacchus, mais Adraste. » — Progrès immense, conquête décisive. Adraste était le roi d’Argos qu’Éléocle et Polynice, ses deux gendres, avaient entraîné l’assaut de Thèbes, et qui survécut seul aux Sept Chefs. La Muse dramatique, attachée comme une Pythie esclave au trépied du dieu, s’échappe ainsi du sanctuaire et passe du côté de l’humanité. Le Dithyrambe se lasse de tourner le pressoir sanglant et capiteux de Bacchus ; il rompt sa chaîne festonnée de pampres, jette son lierre au vent, et va chanter et pleurer, souffrir et s’émouvoir chez les hommes. Le fameux cri de détresse que répéteront longtemps les vieux pontifes du passé : Οὐδἐν πρὀς Διόνυσον ? — « Qu’y a-t-il là pour Bacchus ? » — a beau retentir, le pas est franchi, la liberté est conquise. Bacchus restera le dieu du théâtre, sa statue présidera toujours aux fêtes de la scène, son autel en sera le centre, son prêtre y siègera à la stalle d’honneur, les acteurs seront toujours appelés ses « ouvriers » ou ses « hommes » ; mais il n’en sera plus le sujet unique, le thème invariable. Les héros envahissent le royaume tragique, ils y revendiquent leur droit et leur place. Ils ne détrônent pas le dieu qui le gouverne, mais ce sont eux qui vont le remplir et l’agiter sous son nom.

Une autre innovation se déclare. Un jour, aux Lénéennes, un homme, un inconnu, « quelqu’un », dit