Page:Pavlovsky - En cellule, paru dans Le Temps, 12, 19 et 25 novembre 1879.djvu/62

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de fausset, aiguë et fêlée en même temps, me les crie aux oreilles en accentuant avec ironie les passages les plus ignobles… Alors j’essayais de souffrir en silence ; mais soudain un nouvel accès d’impatience me saisissait ; je jetais mes pantoufles de côté avec fureur et me mettais à courir pieds nus sur les dalles froides du plancher. Ceci faisait passer les hallucinations de l’ouïe.

Une fois, comme je courais ainsi pieds nus, je crus voir quelque chose à travers le mur de la prison. C’était quelque chose ou quelqu’un accroupi au dehors, près du rebord de la fenêtre, qui était pourtant à près de trois mètres du sol. Ma nouvelle vision ressemblait à un juif polonais… Il me guettait, il était roux, il portait son costume national ; près de lui se tenait un petit garçon tout barbouillé de crasse et qui portait aussi le labardak[1] et la calotte juive. Chaque fois que je tournais le dos à la fenêtre, le vieux juif avançait vivement la tête et me montrait du doigt à son fils en disant : « Le voilà, le voilà ! »

J’oubliais tout et ne m’occupais plus pendant quelque temps qu’à guetter le juif de mon côté… Je me retournais parfois avec vivacité, et il me semblait voir chaque fois un peu de son kaftan, qu’il n’avait pas eu le temps de retirer.

Cette apparition n’eut lieu qu’une fois. Mais les hallucinations de l’ouïe que me causaient les grincements du cuir de mes pantoufles durèrent au moins pendant deux mois ; avec le temps, elles aussi disparurent. Plus tard le bruit que je produisais en marchant m’impatientait, mais c’était tout ; je n’entendais ni ne voyais plus rien de particulier.

  1. Kaftan.