Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/120

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Cet abonné m’a fait des cahiers une critique sévère et dont j’ai usé. Il m’a reproché que mon style était voulu. C’est-à-dire travaillé.

— Que lui avez-vous répondu ?

— Je ne lui ai pas répondu, puisque je n’ai pas le temps. Je lui ai répondu en moi-même. Je ne sais pas ce que c’est qu’un style qui n’est pas travaillé, qui n’est pas voulu. Ou plutôt je crois savoir que ce n’est pas un style. On se moquerait beaucoup d’un sculpteur qui taillerait un Balzac sans s’en apercevoir. Pourquoi veut-on que l’écrivain taille et découpe sans l’avoir voulu ? Laissons ces plaisanteries. Je ne prétends pas que le travail puisse rien tirer du néant, du moins le travail humain, et c’est le seul que je connaisse. Mais je n’ai jamais rien vu de sérieux que l’auteur n’eût pas travaillé. Les romantiques encore nous ont abrutis là-dessus.

— Quels romantiques ? Vous avez eu un mot violent.

— Ne croyez pas, docteur, que je cherche des mots non grossiers pour qualifier une influence grossière.

— Quels romantiques ?

— Les prosateurs et les poètes romantiques français, les seuls que j’ai lus. J’en ai fait mes ennemis personnels. Un jour je vous dirai pourquoi. Pour aujourd’hui je retiens seulement qu’ils ont puissamment contribué, avec toute leur littérature, à déconsidérer le travail. Vous savez : Ainsi quand Mazeppa qui rugit et qui pleure. Vous aussi vous avez déclamé ces vers en pleurant de bonheur et d’admiration.

— Je les ai déclamés quand j’étais écolier. C’étaient de beaux vers :

Ainsi lorsqu’un mortel sur qui son dieu s’étale