Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/131

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« En somme, la fin de l’humanité, c’est de produire des grands hommes ; le grand œuvre s’accomplira par la science, non par la démocratie. Rien sans grands hommes ; le salut se fera par des grands hommes. L’œuvre du Messie, du libérateur, c’est un homme, non une masse qui l’accomplira. On est injuste pour les pays qui, comme la France, ne produisent que de l’exquis, qui fabriquent de la dentelle, non de la toile de ménage. Ce sont ces pays-là qui servent le plus au progrès. L’essentiel est moins de produire des masses éclairées que de produire de grands génies et un public capable de les comprendre. Si l’ignorance des masses est une condition nécessaire pour cela, tant pis. La nature ne s’arrête pas devant de tels soucis ; elle sacrifie des espèces entières pour que d’autres trouvent les conditions essentielles de leur vie. »

Voici ce qu’il dit.


— Le fait est, mon ami, que les paroles de ce Théoctiste ne sont pas beaucoup favorables à nos récentes universités populaires. Il avait encore dit : « Qu’importe que les millions d’être bornés qui couvrent la planète ignorent la vérité ou la nient, pourvu que les intelligents la voient et l’adorent ? » Nous avons connu, depuis, combien il importe que quarante millions de simples citoyens n’ignorent pas et ne nient pas la vérité, non seulement la vérité scientifique, mais aussi la vérité historique — pour Théoctiste surtout la vérité historique est partie inséparable de la vérité scientifique — nous avons connu qu’il ne suffit pas que quelques intelligents la voient ; nous avons renoncé à toute adoration, même à l’adoration de la vérité. Tout se tient ici.