Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/241

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— Vraiment, mon ami, me répondit-il, je n’y pensais pas. Mais puisque vous me le demandez, je serais heureux que ces exemplaires fussent lus. Seulement je ne sais pas du tout comment je les pourrais faire lire. Jamais le public ne les achètera. Ils sont trop cher, trop lourds, trop singuliers. Je ne veux rien devoir à aucun journaliste. Je ne veux faire aucune sollicitation. Et s’il est tout à fait impossible de vendre, il est à peu près impossible de donner. Le temps n’est plus où il me restait quelque argent. Après avoir été assez riche pour faire imprimer ces gros volumes, je suis devenu assez malheureux pour ne pouvoir plus payer les frais, qui sans doute seraient considérables, de l’envoi que j’en ferais aux hommes libres à qui je les enverrais.

Voyant que ce malheureux auteur était accablé d’un vain désir, je ne pus lui dissimuler plus longtemps que ces cahiers étaient devenus récemment une puissance d’argent formidable et qu’il ne s’en fallait plus que de quelques lieues terrestres qu’ils atteignissent aux confins enchantés des régions où règne l’opinion publique. Il en parut un peu mécontent, et inquiet pour moi. Mais sans lui laisser le temps de s’abandonner à son malheureux naturel : s’il en est ainsi, lui dis-je, permettez moi d’organiser la distribution de ces exemplaires.

À ce mot d’organiser, son visage douteux se rasséréna soudain : Oui, me dit-il, je sais que vous êtes le grand organisateur, et ce qui me plaît en vous, c’est que ce que vous organisez se porte assez volontiers mal. Je suis écœuré des gens qui réussissent. Vous, au moins, vous n’organisez pas pour la réussite. Et cela se voit. Je vous permets donc d’organiser la dispersion des volumes. Agissez comme il vous semblera bon. Mais,