Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/321

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Ce n’est pas ainsi du tout que je me représente l’action modeste que j’exerce et l’action modeste que je reçois. Quand je vois quelqu’un, je ne me dis jamais : Propagandons. Mais je cause honnêtement avec ce quelqu’un. Je lui énonce très sincèrement les faits que je connais, les idées que j’aime. Il m’énonce tout à fait sincèrement les faits qu’il connaît et les idées qu’il aime et qui souvent sont fort différentes. Quand il me quitte j’espère qu’il s’est nourri de moi, de ce que je sais et de ce que je suis. Et moi je me suis toujours nourri de tout le monde, parce que tout le monde a beaucoup plus d’esprit que moi. J’ai pitié souvent quand je vois ces gens de propagande enseigner au peuple ce que le peuple sait mieux qu’eux, ce que le peuple saurait tout à fait si l’on n’avait jamais inventé les journaux. Le peuple sait beaucoup de ce que nous pouvons savoir quand il connaît l’amour, la naissance et la mort, la maladie et la santé, la jalousie envieuse et la haine, la misère et la prospérité, le chaud et le froid, les terres et les eaux, les rues et les bois, les bêtes et les plantes, quand il assiste à l’admirable croissance des enfants, à la décroissance compensatoire des vieux. Pour moi c’est sur les impériales des voitures et dans les troisième classe de l’Orléans que j’ai entendu le meilleur de ce que sais. Et quand je parle avec un homme du peuple, ce qui m’arrive le plus souvent que je le puis, je n’ai aucune intention de le catéchiser. Car au fond leur propagande est une catéchisation, une catéchisation de plus. Je cause uniment avec l’homme du peuple. Je lui parle de son métier, non pour profiter seulement, mais parce que vraiment son métier est plus intéressant, plus profondément vrai que le mien. Je