Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/320

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comme il est pour que je le propagandise. La propagandisation ainsi entendue comme ils veulent qu’on la pratique a toujours conduit à faire massacrer les impropagandisables par leurs anciens amis propagandisés. Voyez ce qu’il advient aux malheureux Chinois. La propagandisation est une forme de la conquête. Quand nos amis du Parti ouvrier français, fructueusement alliés aux radicaux, eurent enlevé aux réactionnaires le conseil municipal de Lille, vous vous rappelez sans doute l’enthousiasme avec lequel un journal ami, La Petite République, afficha une énorme manchette : Lille conquise. Un envahisseur militaire parlerait ainsi. Ou bien la propagandisation est une forme de l’acquisition, de l’appropriation. Or nous voulons supprimer la propriété même.

Au fond leur propagande revient à ceci : elle suppose un propagandeur et des propagandables ; un propagandeur est quelqu’un qui sait ; les propagandables, c’est tout le monde qui ne sait pas, les imbéciles, comme Simiand dit. Celui qui sait enseigne ceux qui ne savent pas. Pour les enseigner il transforme, — sans les déformer, — les réalités. Il masque certains faits, certains hommes, certains événements, certaines idées, certaines images. Il fait valoir certains faits, certains hommes, certains événements, certaines idées, certaines images. Il introduit certains jeux de lumière. Il dispose, propose et compose les plans. Il ordonne les perspectives. Il distribue, produit et contribue les couleurs. Il obtient ainsi un tableau commode. Le peuple voit ce que l’on veut, et ne voit pas ce que l’on ne veut pas. Le peuple entend ce que l’on veut, et n’entend pas ce que l’on ne veut pas qu’il entende.