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belge a la situation d’un gros bourgeois. Nous avons des rentiers qui vont de quinze à trente mille.

— Par an, dit Pierre Deloire.

— On se demande s’il n’y en a pas plus d’un qui monte à la cinquantaine. Lafargue a moins. Mais il a beaucoup. Nous avons des citoyens qui ajoutent le montant de gros traitements au montant de grosses rentes. Nous avons eu des journalistes qui à leurs gros traitements socialistes ajoutaient de gros traitements venus des journaux réactionnaires. On n’est pas bien sûr que ce régime soit passé. M. Millerand, qui est riche, n’a quitté l’Éclair, journal absolument indépendant, qu’un temps considérable après que les simples bourgeois honnêtes avaient fait leur paquet.

Mon cousin se leva sincèrement ému :

— Monsieur, dit-il, vous avez eu l’honneur de me faire marcher, avec toute cette histoire de mois que j’ai pris pour des années. Vous avez été plus fort que moi. N’ayez pas peur : je rends aux maîtres l’hommage que je leur dois. Écoutez, monsieur, vous pouvez m’en croire : c’est la première fois de ma vie que je marche. Mais aussi, monsieur, pouvais-je penser qu’il se passait des choses comme ça dans le parti. Pouvais-je imaginer tant de monnaie. J’en suis encore tout abruti.

— Asseyez-vous un peu, répondit Pierre Baudouin, ça va se passer. Vous en verrez bien d’autres à Paris, si vous restez quelque temps parmi nous. N’oubliez pas qu’aujourd’hui vous nous devez un compte rendu.

— Comment, je vous dois un compte rendu ! Vous abusez de votre victoire. C’est moi qui suis venu demander à mon petit cousin le compte rendu qu’il me doit depuis quatorze mois passés.