Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/357

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possède quelque chose. Il possède sa voix. Le citoyen candidat est quelqu’un qui demande quelque chose. Il demande cette voix. Il ne faut pas que tu te montes le coup là-dessus, mon petit cousin. Le citoyen candidat demande la voix du citoyen électeur. Comme disait ma grand mère, qui était aussi la tienne, quand on demande la charité, il ne faut pas faire le fier. Comme dit mon patron, les affaires sont les affaires. Et les mendiants sont les mendiants. Quand on tend la main, il ne faut pas lever la tête. Ainsi parlait grand mère, mon ami, et je suis peiné que tu n’aies pas gardé le sens de ses leçons anciennes.

Les affaires sont les affaires. Tu veux que le citoyen électeur te donne sa voix. Il faut que tu lui donnes en compensation. Si tu étais député, tu lui donnerais des faveurs gouvernementales. Mais les délégués aux congrès socialistes n’ont encore aucuns bureaux de tabac. En attendant il faut que tu paies la voix que tu demandes. Il faut que tu paies. Si tu allais chez un marchand de parapluies et si tu lui disais : Le temps se couvre. Il me faut un parapluie. — Dans quels prix, monsieur, qu’il te demanderait. Pareillement quand tu te portes candidat il faut que tu donnes un prix des voix. Si tu étais venu toi-même, c’était donner au citoyen électeur, pour le prix de sa voix, cet avantageux sentiment qu’il pouvait te déranger à sa guise. C’est une antique jouissance, et dont la saveur n’est pas encore évaporée, que de tenir un homme, de lui faire sentir sa supériorité, de le tenir dans sa dépendance, de le plier à son caprice, de le subjuguer, de lui faire éprouver son autorité. Avoir à sa disposition le candidat plat. Jouir de ses platitudes. Voilà ce qu’il nous faut. Nous sommes le