Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/71

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fait ce qu’ils ont fait. Mais ceux qui ont voulu cela n’ont pas prévu au delà de ce qu’ils voulaient. Ils n’ont pas prévu la résistance désespérée de quelques-uns, la fidélité d’une famille s’élargissant peu à peu jusqu’à devenir la fidélité en pèlerinage de trois cent mille républicains. — Le Vive Dreyfus ne dure que quelques minutes. On en use peu, comme d’un cordial trop concentré.

À mesure que l’on approche de la place de la Nation les stations deviennent plus fréquentes, comme lorsqu’on approche, pour un défilé, d’un rassemblement militaire. On stationnait patiemment. C’était l’heure choisie où la verve individuelle, dans cette fête collective, s’exerçait plus aisément. Sans doute on ne pouvait se mettre à la fenêtre pour se regarder passer dans la rue, cela étant défendu par les traités de psychologie les plus recommandés. Mais on s’amusait à quitter le cortège pour aller, au bord du trottoir, voir passer les camarades. Cela devenait une heureuse application de la mutualité aux défilés du peuple. On mesurait ainsi du regard tout ce que l’on pouvait saisir du cortège inépuisable. Il se produisait ainsi une pénétration réciproque du cortège et de la foule. Plusieurs défilèrent, qui n’étaient pas venus pour cela. Tout le monde approchait pour lire en épelant les inscriptions des drapeaux et des pancartes. Ce jour de fête fut un jour de grand enseignement populaire. Il se formait des rassemblements autour des plus beaux drapeaux, autour des beaux chanteurs. Les refrains étaient chantés, repris en chœur par une foule grandissante. Un jeune et fluet anarchiste — c’est ainsi qu’ils se nomment, compromettant un nom très beau — qui s’était fait une tête de