Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

guerres victorieuses n’en sont pas moins des guerres. Les invasions faciles n’en sont pas moins des envahissements. Les oppressions aisées n’en sont pas moins des étouffements, des écrasements.

Fécondité est le livre de la guerre. Parce qu’ils possèdent les biens de ce monde à titre de propriétaires individuels, tous ces Froment sont des hommes de guerre et non pas des hommes de paix. Ces enfants dont nous admirions la parfaite communauté de vie, quand ils sont mis hors de page, commencent des possessions individuelles, des vies individuelles. De l’abondance du lait commun, de la nourriture qu’ils semblaient partager communément avec la vie universelle, avec le monde en nourriture, voici qu’ils redescendent bourgeoisement à l’individualité de leurs nouvelles familles. Ces enfants partageaient avec les blés et l’herbe. Ces hommes ne partagent plus même avec les autres hommes. Ils prennent la part des autres hommes. Ils prennent la part des autres Froment. Voici qu’ils possèdent séparément et, bien entendu, qu’ils se chamaillent. Fécondité est si peu un livre de paix que les Froment ont déjà des guerres intérieures, des guerres civiles. Celui qui est meunier, Grégoire, fait la guerre à Gervais, celui qui est fermier. « Grégoire était, en affaires, d’une rudesse d’homme sanguin, qui s’entêtait à ne jamais rien lâcher de son droit. »[1] Marianne, au déclin de sa vie, est malade d’âme et court le danger de mort par la tristesse de cette guerre intestine. Je demande s’il n’y a pas des mères qui meurent tout à fait quand Grégoire exerce, en affaires,

  1. Fécondité, page 698.