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Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/18

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au sens du terre à terre, de la réalité la plus humble, de l’effort paysan, têtu, quotidien. Il avait le sentiment de la qualité surnaturelle dans les choses de chaque jour. Il disait que s’il y avait contrariété des personnages cornéliens aux hommes ordinaires, il nous serait impossible de nous retrouver en eux, mais que nous nous reconnaissons en eux parce qu’ils sont nos représentants éminents. Un tel esprit si haut, si noble était à mettre au premier plan. J’avais bien vu cela et je l’avais fait voir à ce vieillard d’une âme si jeune, si pure et si chaude, M. Thureau-Dangin qui dès 1910, sur notre proposition, rêvait de rapprocher de l’Académie ce solitaire, méconnu ou inconnu en dehors de son cénacle, mais aujourd’hui c’est bien autre chose : je comprends que j’ai approché dans ce normalien qui tenait une boutique un homme de la Légende dorée. Je comprends que pour nous rendre intelligible comment on devient un héros et un saint, il est utile d’étudier la formation de ce Charles Péguy que nous avons connu en chair et en os et qui demeure au milieu de nous en esprit.

Comment saisir un tel homme, non plus tel que les récits se déformant d’année en année nous le montreront peu à peu aux jours de pèlerinage sur la grande tombe de Villeroy, mais dans sa vérité absolue et intime ? J’apporte quelques documents. Non pas un éloge, mais notre témoignage puisque nous avons eu l’honneur de le connaître. La postérité saura bien pourquoi l’honorer et l’aimer, mais elle demandera toujours plus de détails familiers et vrais sur celui qui, ayant vécu d’imagination avec les héros et les saints devient par sa mort l’un d’eux.