Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/223

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Je vous expliquerai le nœud qui les assemble.
L’aîné les ayant pris, et fait tous ses efforts,
Les rendit, en disant : Je le donne aux plus forts.
Un second lui succède, et se met en posture,
Mais en vain. Un cadet tente aussi l’aventure.
Tous perdirent leur temps ; le faisceau résista :
De ces dards joints ensemble un seul ne s’éclata.
Foibles gens, dit le père, il faut que je vous montre
Ce que ma force peut en semblable rencontre.
On crut qu’il se moquoit ; on sourit, mais à tort :
Il sépare les dards, et les rompt sans effort.

Nos modernes rompent sans effort les réalités qu’ils étudient ; reste à savoir si les réalités historiques s’accommodent de ce traitement.

Un historien doit conserver, au contraire ; il est essentiellement un conservateur de l’univers passé ; comment conserver, si on brise.

Telle est non point la caricature et la contrefaçon des méthodes historiques modernes, mais leur mode même, leur schème, l’arrière-pensée de ceux qui les ont introduites avant nous, de ceux qui les pratiquent parmi nous ; assistez à une soutenance de thèse historique ; la plupart des reproches que le jury adresse au candidat reviennent à ceci : que le candidat n’a point épuisé toute l’indéfinité, toute l’infinité du détail ; je ne dis pas que les membres du jury l’épuisent dans leurs propres travaux ; mais ce que je dis, si vous assistez à une soutenance de thèse et que vous entendiez bien, que vous interprétiez les critiques du jury, c’est qu’elles reviennent généralement à cela ; il faut avoir épuisé