Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

corvées : il ne le veut pas. Jamais un autre ne fera son lit ou ne cirera ses bottes, ou ne montera une garde à sa place. « De tous les êtres que j’ai connus, me dit Charles de Peslouan, c’est le seul qui m’ait donné une image en noblesse de la vie de caserne. C’est que dans cette vie Péguy trouvait l’expression de son éthique. Écoutez-bien : il avait un esprit révolutionnaire, que ne blessaient ni la discipline, ni la hiérarchie. La soumission à des règles lui paraissait la culture primordiale de tout esprit révolutionnaire. La cité socialiste, à l’en croire, exigera des citoyens de demain une bien autre soumission que la cité bourgeoise. L’insoumis ne pourra pas être bon citoyen de la cité. Et parmi les insoumis, rien de pire que le petit bourgeois qui coupe à la corvée, grâce à son argent, à son intrigue et à son astuce. »

Insistons sur ce point et sur l’idée qu’à cette date, Péguy se fait du bourgeois et de la classe bourgeoise. C’est une idée à priori, sans expérience personnelle. Autour de lui, au lycée même, ses camarades appartenaient au monde ouvrier. La bourgeoisie d’Orléans envoyait ses enfants aux écoles congréganistes ; Péguy ne les connaît pas, ils sont les bourgeois, ceux qui n’ont pas l’esprit ouvrier. L’ouvrier, selon Péguy, a comme qualité première l’ambition de réaliser à chaque fois un travail parfait. Lui-même a travaillé le latin et le grec dans cet esprit de perfection. Mais il est persuadé que le bourgeois manque d’abnégation, qualité sans laquelle il n’y a pas d’esprit socialiste possible. La cité future ne se construira pas du dehors, mais par le désir que formeront en commun un certain nombre d’êtres qu’elle soit établie.