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Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/239

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trois façons de constater l’existence d’un être, le voir, entendre parler de lui, voir son action, et qu’un être comme celui dont nous parlons n’est connu d’aucune de ces trois manières ; mais on conçoit la possibilité d’un état où, dans l’infinité de l’espace, tout vive. Peu de matière est maintenant organisée, et ce qui est organisé est faiblement organisé ; mais on peut admettre un âge où toute la matière soit organisée, où des milliers de soleils agglutinés ensemble serviraient à former un seul être, sentant, jouissant, absorbant par son gosier brûlant un fleuve de volupté qui s’épancherait hors de lui en un torrent de vie. Cet univers vivant présenterait les deux pôles que présente toute masse nerveuse, le pôle qui pense, le pôle qui jouit. Maintenant, l’univers pense et jouit par des millions d’individus. Un jour, une bouche colossale savourerait l’infini ; un océan d’ivresse y coulerait ; une intarissable émission de vie, ne connaissant ni repos, ni fatigue, jaillirait dans l’éternité. Pour coaguler cette masse divine, la Terre aura peut-être été prise et gâchée comme une motte que l’on pétrit sans souci de la fourmi ou du ver qui s’y cache. Que voulez-vous ? Nous en faisons autant. La nature, à tous les degrés, a pour soin unique d’obtenir un résultat supérieur par le sacrifice d’individualités inférieures. Est-ce qu’un général, un chef d’État tient compte des pauvres gens qu’il fait tuer ?

« Un seul être résumant toute la jouissance de l’univers, l’infinité des êtres particuliers joyeux d’y contribuer, il n’y a là de contradiction que pour notre individualisme superficiel. Le monde n’est qu’une série de sacrifices humains ; on les adoucirait par la joie et