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Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/240

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la résignation. Les compagnons d’Alexandre vécurent d’Alexandre, jouirent d’Alexandre. Il y a des états sociaux où le peuple jouit des plaisirs de ses nobles, se complaît en ses princes, dit : « nos princes », fait de leur gloire sa gloire. Les animaux qui servent à la nourriture de l’homme de génie ou de l’homme de bien devraient être contents, s’ils savaient à quoi ils servent. Tout dépend du but, et, si un jour la vivisection sur une grande échelle était nécessaire pour découvrir les grands secrets de la nature vivante, j’imagine les êtres, dans l’extase du martyre volontaire, venant s’y offrir couronnés de fleurs. Le meurtre inutile d’une mouche est un acte blâmable ; celui qui est sacrifié aux fins idéales n’a pas droit de se plaindre, et son sort, au regard de l’infini (τῷ θεῷ), est digne d’envie. Tant d’autres meurent sans laisser une trace dans la construction de la tour infinie ! C’est chose monstrueuse que le sacrifice d’un être vivant à l’égoïsme d’un autre ; mais le sacrifice d’un être vivant à une fin voulue par la nature est légitime. Rigoureusement parlant, l’homme dans la vie duquel règne l’égoïsme fait un acte de cannibale en mangeant de la chair ; seul l’homme qui travaille en sa mesure au bien ou au vrai possède ce droit. Le sacrifice alors est fait à l’idéal, et l’être sacrifié a sa petite place dans l’œuvre éternelle, ce que tant d’autres êtres n’ont pas. La belle antiquité conçut avec raison l’immolation de l’animal destiné à être mangé comme un acte religieux. Ce meurtre fait en vue d’une nécessité absolue parut devoir être dissimulé par des guirlandes et une cérémonie.

« Le grand nombre doit penser et jouir par procuration. L’idée du moyen âge, de gens priant pour ceux