Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/266

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telles exagérations ; il n’a jamais aimé les outrances, et, juste distributeur, autant et plus averti sur lui-même que sur les autres encore, il ne les aimait pas plus chez lui-même et pour lui-même qu’il ne les aimait chez les autres ; il aimait moins les outrances de Renan que les outrances des autres, peut-être parce qu’il aimait Renan plus qu’il n’aimait les autres ; comme Hellène il se méfiait des hommes, et des dieux immortels ; comme chrétien, il se méfiait du bon Dieu ; comme citoyen, il se méfiait des puissances ; et comme historien, des événements ; comme historien des dieux, et de Dieu, mieux que personne il savait comment en jouer, et quelles sont les limites du jeu ; il était un Hellène, un huitième sage ; il connaissait d’instinct que l’homme a des limites ; et qu’il ne faut point se brouiller avec de trop grands bons Dieux ; il s’était donc familièrement contenté de donner à l’humanité, à l’historien, les pouvoirs du Dieu tout connaissant ; il n’eût point mis à son temple d’homme un surfaîte orgueilleux et qui bravât la foudre.

Altier, entier, droit, Taine a eu cette audace ; il a commis cet excès ; il a eu ce courage ; il a fait cet outrepassement ; et c’est pour cela, c’est pour cet audacieux dépassement que c’est par lui, et non par son illustre contemporain, qu’enfin nous connaissons, dans le domaine de l’histoire, tout l’orgueil et toute la prétention de la pensée moderne ; avec Renan, il ne s’agissait encore, en un langage merveilleux de complaisance audacieuse, que de constituer une lointaine surhumanité en un Dieu tout connaissant par une totalisation de la mémoire historique ; avec Taine au contraire, ou plutôt au delà, nous avons épuisé nettement