Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/309

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ensemble ils étaient des mobiles, comme le disent nos mécaniciens, des mobiles en mouvement, ensemble ils formaient un cortège indivisible, comme le peuple formait un peuple de spectateurs indivisible ; et le cortège défilait pour le plaisir et pour l’honneur du peuple, comme le peuple regardait pour l’accompagnement et pour l’honneur du cortège ; et comme la plus sévère égalité verticale régnait dans le peuple debout, ainsi la plus exacte et la plus commode égalité de mouvement régnait dans le cortège passant ; le roi valait un soldat, un soldat valait le roi, puisqu’ils étaient des grandeurs qui passaient au même trot.

Peuple ingrat, comme dit Racine. Et vraiment peuple singulier. Qui ayant de tels spectacles, s’y précipite. Et qui le soir ne se précipite point à des leçons qui pourtant sont faites exprès pour lui. Quand on pense que ce peuple, tous les soirs, de neuf à onze ou de dix à douze, après une journée de travail éreintante, pourrait aller dans des salles souvent bien éclairées s’embêter sur des bancs comme des normaliens aux conférences ; écouter les derniers vers de nos petits poètes, les extrêmes hypothèses de nos derniers savants ; et il préfère truquer dans la journée pour aller par un beau soleil voir défiler des chevaux militaires.

Vraiment. Rien n’est propice au travail comme ces promenades apparemment oiseuses ; décidément je voyais très bien comment je ferais mon cahier ; la grande abdication de Waldeck-Rousseau, annonce et présage et imitation anticipée de sa grande mort, mort politique avant la mort naturelle, mort de la situation