Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/351

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Novembre 1828. — Décidément mon cahier serait un cahier très sage, qui ferait plaisir à tout le monde, même à mes amis, et qui me vaudrait les compliments de mes camarades ; un bon cahier de récapitulation ; sans aucune idée maîtresse : des faits, rien que des faits ; des événements bien égalisés, soigneusement passés au rouleau ; énumération ; échelonnement ; rien de plus ; l’idéalisme historique y recevrait une adoration discrète, parce que nous devons révérer les anciens dieux ; le matérialisme historique y recevrait un hommage plus marqué, parce que nous devons nous ménager les dieux nouveaux ; l’une et l’autre adoration pourtant seraient habilement combinées, dosées, parce que l’on ne sait jamais qui sera le dieu de demain ; et ni l’un ni l’autre hommage ne me ferait manquer à la règle sacrée du fait pur ; car cet idéalisme et ce matérialisme se ressemblent en ceci au moins qu’ils ne sont nullement des idées, puisqu’ils sont des systèmes.

Sage devenu en ce temps de sagesse, on me pardonnerait beaucoup de nos méfaits passés ; les historiens ne me rejetteraient plus ; les philosophes ne me rejetteraient plus…

Cette saisie eut lieu un matin ; peut-être un lundi ; peut-être un mardi matin ; en tout cas on eut l’impression que ça faisait un commencement de semaine, et un esérieux commencement de semaine ; par un effet de retour en arrière, on eut immédiatement l’impression que le voyage du roi d’Espagne avait lui aussi duré une semaine exactement, qu’il avait fait une semaine, arrêtée, que cette semaine avait été la semaine du roi d’Espagne, qu’elle était finie, qu’il ne s’agissait plus d’en