Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/36

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lui-même quand il venait si honnêtement, comme un pèlerin, comme un moine-mendiant de l’ancienne France, solliciter pour les Cahiers et non pas solliciter, mais nous faire l’honneur de nous annoncer d’une voix monotone et d’un air grisâtre, d’un air toujours égal, toujours assuré et si fin, qu’il nous donnait le témoignage fraternel de nous demander un service. Et qu’il avait raison, comme il nous faisait honneur de bien vouloir penser à nous, lui qui allait mourir pour la France et pour une conception héroïque de la vie !

Louis de Gonzague est un souvenir du catéchisme, une anecdote qu’on raconte à tous les enfants de paroisse. Vous la connaissez : des enfants en récréation parlent de la fin du monde. « Que ferais-je si la fin du monde devait arriver dans une minute ? » — « J’irais à la chapelle », dit l’un. — « Je courrais me confesser », dit l’autre. — « Moi, dit Louis de Gonzague, je continuerais à jouer. »… Vous voyez comment cette anecdote se relie à l’ordre de pensées que nous venons d’indiquer. La révolution, pour le croyant socialiste, se présente comme une apocalypse, mais déjà Péguy ne croit qu’à la continuité du travail. Le révolutionnaire se croit dispensé de tout devoir, en vertu d’une formule sacro-sainte. Péguy a horreur de tout sabotage. Il aime la conscience, l’effort « moléculaire », le scrupule, le travail, le devoir. Il prétend que le monde ne se tient que par les gens dévoués qui aiment « l’ouvrage bien faite ». La morale enfantine de Louis de Gonzague, il la préfère aux théories paresseuses de Jaurès. Je suis persuadé qu’il a mis une certaine malice à jeter dans les jambes de Jaurès cette petite histoire de sacristie. Il ne pardonnait pas à Jaurès ses lâchetés