Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/40

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inconnus. Il retrouve toute sa tradition, toutes ses vérités vivantes, non plus ses passions factices, mais son amour, ou du moins les vrais objets de son amour.

Voilà, à mon sens, ce qui fait l’importance de ce morceau. Il est capital dans l’évolution spirituelle de Péguy. C’est vraiment un très beau document pour l’histoire d’une conversion. Il acheva de nous mettre sur la voie pour que nous saisissions le ressort essentiel de Péguy.

Notre ami se tenait avant tout pour un historien, et il a souvent traité de la manière d’écrire l’histoire. Toutes ses explications ne valent pas un certain mot qu’il a dit à plusieurs fois sur le ton du secret à Charles de Peslouan : « L’historien est un homme qui se souvient. » Les documents sont des éléments capitaux, mais il ne s’agit pas de les interpréter, il s’agit de les vivre. Nous avons une mémoire secrète de notre histoire, nous portons en nous nos ancêtres : servons-nous des documents pour les réveiller dans notre être. Péguy prétendait que les Allemands ne peuvent rien comprendre à l’histoire de France. Il leur défendait même d’écrire l’histoire romaine. Qui saura le mieux comprendre et écrire la vie de Jeanne d’Arc ? Un petit plébéien des bords de la Loire, élevé dans la pensée et le culte de la Pucelle d’Orléans. Péguy entendait reconstruire l’histoire de cette paysanne de génie en réveillant en lui l’âme paysanne de ses ancêtres, et dans ce travail il faisait intervenir toutes les qualités par lesquelles il se sentait ouvrier et qu’il voulait garder pures en lui. Ainsi s’expliquent en quoi diffèrent les deux Jeanne d’Arc qu’il publia à dix années d’intervalle, la figure de l’héroïne ayant d’ailleurs