Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/41

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obsédé ou mieux dominé toute sa vie. La première, déjà si étrange, est au sens de l’auteur une reconstitution historique ; la seconde, où il se livre magistralement à sa méthode, tenons-la pour une création mystique, une effusion, une prière. Enfin le destin et le vœu de son cœur lui permirent, pour couronner toutes ses pensées, de se sacrifier à l’imitation de la Sainte.

Je crois que ce qui resterait à préciser c’est le point exact où la guerre a surpris Péguy. Est-ce que je me trompe ? Il y avait chez lui une nuance de désillusion et certaines ombres étaient venues sur ses espérances.

Je lui disais : « Laissez donc votre boutique et vos Cahiers. Soyez comme tout le monde, député, académicien, Dieu sait quoi ! mais commerçant, quel fardeau ! Servez-vous, pour dire ce que vous avez dans le cœur, des moyens de tout le monde, la Revue des Deux Mondes, les grands journaux, les plus hautes tribunes. Je ne comprends pas pourquoi il vous plaît de compliquer votre affaire… » Il me répondait sans développement, de cet accent terne et resserré qu’il avait parfois en marchant la tête baissée, qu’il ne serait pas libre ailleurs. Défendait-il sa liberté ou son excentricité ? Je ne tenais pas auprès de lui le rôle déplorable du tentateur qui veut dénaturer un être et dévoyer une mission. Je lui offrais des moyens meilleurs que les siens pour mettre en œuvre ses convictions. Mais j’entendais bien qu’il me répondait comme eût fait jadis un Maurras : « Ma pensée réformatrice ne peut germer que dans la solitude et c’est là, non ailleurs, que je trouve mes libertés pour tout conquérir. » Peut-être avait-il raison. C’est classique et c’est très beau de s’en aller dans le désert pour y attirer à soi la foule.