Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/406

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cement de la tragédie dans sa version française, et Mounet debout au plus haut des marches, à droite, recevant comme un Dieu la supplication de tout un peuple. Ce peuple, vous me le dites, était un peuple de figurants. D’où prenez-vous que dans le monde moderne les figurants de théâtre, par leur situation sociale (ἕδρα), ne soient pas excellemment disposés à devenir les représentants, les images des suppliants de l’antiquité. C’est comme si vous disiez que M. Mounet-Sully n’est pas un roi du monde moderne, et ainsi n’est pas éminemment désigné, par sa situation sociale même, pour devenir une image, un représentant des rois de l’antiquité. Nous avons encore le timbre rocheux et beurré de sa voix sonnant dans nos mémoires :

Enfants, du vieux Cadmus jeune postérité,
Pourquoi vers ce palais vos cris ont-ils monté,…

Il avait un manteau blanc superbe où il se drapait comme un ancien, mieux qu’un ancien, car nous n’avons jamais vu d’ancien se draper, et le moindre de ses gestes est demeuré intact dans la mémoire de nos regards. Mais spectateurs, mes frères, compagnons des hauteurs, poussinets du poulailler, anges du Paradis, jeunes gens d’alors, qui dans la ferveur et la piété des représentations de ce temps allâmes acheter la traduction nouvelle en librairie (traduite littéralement en vers français), vivons pieusement dans la mémoire de nos regards et dans la mémoire de nos cœurs ; vivons dans la mémoire de ce que nous avons entendu alors et de ce que nous avons aimé ; gardons-nous surtout de jeter les yeux sur ce texte ancien ; pas même ancien,