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Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/418

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été de me dispenser de ne pas traduire les noms propres, comme il fait. J’ai aussi traduit ἱερεύς par prêtre, ce qui est moins savant, que par sacrificateur.

J’ai traduit Οἰδίπους par Œdipe et non point par Oidipous, comme dans l’Iliade je traduirais Ἀχιλλεύς par Achille et non point par Akhilleus. Et ainsi de suite. Je me demande avec inquiétude si dans Leconte de Lisle cette ostentatoire transcription du nom propre, au lieu d’une ordinaire traduction, ne fait point la pièce essentielle d’un appareil artificieux destiné à donner le change au moderne sur le degré de strict resserrement de la traduction. Autant que personne, mieux que personne il savait à quoi s’en tenir sur sa traduction ; mieux que personne il savait combien elle était lâche et flottante. Mieux que personne il savait aussi, mieux que personne ayant le sens de la forme et des formes, combien une traduction vaut par le strict resserrement ; par l’ajustement ; mieux que personne il savait qu’une traduction ne vaut par aucune qualité comme par le fouillé du détail, par le travaillé du rendu, par l’ajusté, par l’ouvragé, par le détaillé, par le poussé. Mieux que personne il savait ce que vaut une nuance, une forme, un geste, une attitude, le prix infini d’une ligne, l’éternité de la ligne, l’incommutabilité du trait exact. Et que l’art n’est rien s’il n’est point une étreinte ajustée de quelque réalité. Quand même il ne l’eût pas su comme traducteur, ce qui est invraisemblable, le très grand poète qu’était Leconte de Lisle ne pouvait l’ignorer, et a bien montré qu’il ne l’ignorait pas tout aussitôt et toutes les fois qu’il ne s’agissait plus que d’établir ses propres textes. J’ai peur qu’en affectant de ne pas traduire les noms propres, il n’ait eu la pensée de donner