Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/419

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le change au lecteur moderne sur le degré de resserrement de sa traduction, de faire une sorte de compensation, entre le relâché de tout le reste et la stricte application de ce nom propre transcrit non traduit collé comme une étiquette ; comme d’un habit qui n’irait pas, d’un vêtement tout fait, d’un tissu (texte) lâche que l’on voudrait ressaisir, que l’on repincerait hâtivement par quelques épingles, — mettons par quelques fibules, — piquant, au risque de piquer à même la peau.

Puisqu’on traduit, je me demande en vain, pourquoi l’on ne traduirait pas tout. Puisqu’on traduit tous les autres mots, et particulièrement les noms communs, il n’y a aucune raison pour que l’on ne traduise pas aussi les noms propres, qui sont du même langage, et particulièrement du même texte. Puisque l’on fait tant que de traduire, je me demande pourquoi l’on ne traduit pas tout. Si je traduis ἱερεύς, βωμοί, τέκνα, par prêtre, autels, enfants pourquoi ne pas traduire également et pareillement Οἰδίπους par Œdipe. Si je traduis boire et manger, aller et venir, pourquoi ne pas traduire pareillement le nom de celui qui boit et qui mange, de celui qui dort, de celui qui va et vient. Pourquoi cette inégalité, cette imparité, pourquoi introduire dans la traduction cette désharmonie artificielle, ce manque, cette rupture d’harmonie, de symétrie, cette rupture d’équilibre, ce plaqué, ce corps mort dans un organisme vivant, ce fragment mort dans une phrase vivante, ce fragment ancien dans une traduction qui est forcément un texte nouveau, ce fossile dans un organisme, cette esquille, ce morceau tout fait dans un ensemble que l’on fait, ce morceau immobile et raide, figé, fixé, dans une phrase mouvante et vivante et souple. Pourquoi enfin refusez-vous