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Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/42

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À la grande tombe de Villeroy, Péguy convoque les générations. Il leur a donné une tombe à vénérer. Elles se demanderont si le jour qu’il recueillit sa couronne glorieuse, il avait rempli toute sa tâche. Nous répondons nettement que la France a perdu en Péguy le peintre du peuple à la guerre et un puissant réconciliateur. Comme nul autre, il aurait su décrire le paysan sous les armes. Il était peuple, ancienne France, parisien, soldat de l’An II ; il avait fait des Le Nain, il avait fait des Raffet ; lisez ce qu’il écrivit des armées de l’Empire : s’il avait survécu, nous aurions « des bonhommes », comme aimait à dire le soldat (qui n’employa jamais le mot de poilu), nous aurions des gens de labour, des gens de métier, des hommes de notre terre, des hommes des vieilles croisades en bleu-horizon. Et puis Péguy, rien qu’à réagir contre ses maîtres de la Sorbonne, nous disait de bien belles choses, et contre eux furieusement il ameutait toute l’histoire de France qu’il portait en lui. Qu’est-ce donc qu’il a dû tirer de l’histoire de France sur le champ de bataille, en face des envahisseurs ? Quel secours intérieur ne lui fut-elle pas ? Comme il a dû réconcilier et appeler à son aide tous ceux qui se battent dans notre passé ! S’il avait survécu, il aurait nommé, dénombré et rendu sensibles, pour les plus querelleurs même d’entre nous, les ressources de la France Éternelle, tout l’invisible qui nous assiste et nous anime et qui respire positivement dans notre sang.

Maurice BARRÉS.