Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/446

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veille non encore inventée, se continuait insensiblement en un véritable chemin des champs, en un véritable chemin de vraie terre, quand il s’en allait par un tout misérable mais véritable commun sentier qui devait aboutir à quelque chemin vicinal d’un département français. Il était entré roi de Thèbes. Il s’en allait par une route commune, aveugle comme tous les aveugles. Il était entré roi de pourpre et d’or. Il s’en allait dans la commune boue et dans la commune poussière. Il s’en allait dans les cailloux pointus meurtrir ses pauvres pieds saignants dans les sandales. Il allait, plus misérable que tout le monde, marcher par les chemins de tout le monde. Il était entré roi. Il sortait suppliant, et l’éternel père d’Antigone.

Car pour ne point triompher, moi-même, dans ma thèse, j’ai pris d’Œdipe, le père, le roi, l’homme. C’est-à-dire quelqu’un de forcément mesuré et de grossier. Que serait-ce et que n’eussions-nous pas dit si j’avais eu la grossièreté d’examiner devant vous ce que je suis presque forcé de nommer malgré moi la vocation d’Antigone : Antigone, petite princesse royale, petite fille, la dauphine, petite future femme de gynécée. Et après la catastrophe Antigone, l’éternelle Antigone, l’Antigone de l’accompagnement d’Œdipe, l’Antigone de l’ensevelissement du Polynice fraternel.

Devant de telles promotions que devient, pour des Grecs, la contrariété pourtant si importante du juste et de l’injuste, de l’innocence et du crime. Que devient la catégorie du juste ? Que devient la justice. Quel honneur ou quel déshonneur humain, ou si ceci est un mot moderne, quel avantage ou quel désavantage humain peut affronter l’avantage d’avoir été choisi pour devenir