Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/447

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la matière plastique des dieux, et de celle qui domine et qui modèlera les dieux mêmes et qui les gouvernera dans le sommeil de la mort. Et c’est pour cela que le suppliant criminel, ou, pour parler exactement, ancien criminel, — car, puisqu’il est suppliant, il ne peut plus être criminel, — c’est pour cela que le suppliant prétendu criminel est chez les Grecs un homme infiniment plus sage, plus près des dieux, plus innocent que le plus sage et que le plus innocent des hommes heureux. Il peut toujours donner des leçons à l’homme heureux, des leçons de sagesse et d’innocence. L’homme heureux est toujours coupable. Au moins d’être heureux. Mais c’est le plus grand des crimes.

[Je me sers de ce mot de fatalité plutôt que du mot destinée ou destinées parce qu’il est plus général et moins marqué, comme il faut, et parce que depuis Vigny le mot les Destinées, contrairement à ce que l’on pouvait et devait attendre, a pris un sens plus particulièrement moderne et chrétien.]

D’innombrables Grecs ont convoité, poursuivi les bonheurs, comme le firent d’innombrables hommes de tous les temps. Mais il n’en demeure pas moins entier que pour le Grec le bonheur, défini comme la réussite de l’événement, n’est, au fond, point enviable, et n’est point envié.

Les suppliants parallèles : restituant un mot grec, une épithète grecque, en souvenir du Grec illustre qui écrivit les Vies parallèles je me suis permis d’intituler ainsi cette étude préliminaire. Les vies des hommes