Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aisément de vieillir, et de passer, et de disparaître, puisque telle est sa nature, et que telle est sa destinée s’il avait au moins cette consolation que les générations passent et que l’humanité demeure.

Nous n’avons malheureusement plus cette consolation même ; et même nous avons la certitude contraire que l’humanité ne demeure pas. Les générations passent, et l’humanité ne passe pas moins. L’humanité grecque meurt aujourd’hui sous nos yeux. Ce que n’avaient pu obtenir les invasions ni les pénétrations d’aucuns barbares, ce que n’avaient pu obtenir les persécutions d’aucuns barbares chrétiens, ni les émeutes sourdement concertées et sournoisement grossières et meurtrières des sales moines grossiers de la Thébaïde, ce que n’avait pas obtenu le temps même, infatigable démolisseur, le passager triomphe de quelques démagogies politiciennes est en train de l’effectuer sous nos yeux.

Aujourd’hui : ce soir, à huit heures et demie, comme le disent les affiches, comme le crient les crieurs de théâtre : ce soir, à huit heures et demie, sur le théâtre du monde moderne, irrévocablement suprême représentation, au réel, du drame d’Hypatie. Les sales moines grossiers sortis de la Thébaïde comme un troupeau de nuit de chiens maigres n’avaient assassiné que le corps. Ce que n’avaient obtenu aucuns barbares ni le Temps complice de toutes les démolitions, une méprisable compagnie de politiciens modernes l’a joué sous nos yeux, et a gagné la partie. Ce que n’avaient obtenu aucuns barbares ni le Temps barbare, une toute petite compagnie de politiciens modernes, sans effort, sans débat, sans bataille, vient de l’effectuer sous nos yeux. Une fois de plus il a été donné à une petite troupe de