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l’heure nous nous souhaiterons la bonne année, nous nous la souhaiterons rituellement, nous ne dirons pas un mot de plus, mais demi-souriants nous ferons les avantageux, parce que prononçant des paroles rituelles et modestes nous saurons que nous signifions, que nous portons infiniment au delà de nos propres paroles.

Souhaitons-nous comme nos pères la bonne année ; au commencement de cette année de fortune ou de fatalité, amis souhaitons-nous une bonne année. Si nous étions des anciens, nous pourrions nous réduire à nous souhaiter que cette année 1906, aujourd’hui commençante, soit une année heureuse. Mais puisque nous sommes des modernes, issus des quatre disciplines, hébraïque, hellénique, chrétienne, et française, ayons au moins les vertus de nos vices. N’oublions pas que l’humanité n’a point connu seulement Platon, qu’elle n’a point connu seulement ce plus grand philosophe de l’antiquité, mais qu’elle a connu aussi les grands philosophes modernes, Descartes, Kant, Bergson.

Héritiers, autant que nous le pouvons, de la culture antique, autant et même un peu plus que nous n’en sommes dignes, souhaitons-nous que cette année soit une année heureuse et qui nous réussisse, mais souhaitons-le-nous sans aucun orgueil, sans aucune présomption, sans aucune anticipation ; sans aucune usurpation ; c’est-à-dire croyons que la fortune et que le bonheur considéré comme la réussite de l’événement est un élément capital de toute vie, et ne méprisons point la réussite, ni cette réussite qui se nomme la paix et le maintien de la paix, ni cette réussite qui se nomme la victoire ; mais souhaitons-la-nous de telle sorte et dans un langage tel que nous n’attirions sur nos têtes