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République se sert beaucoup des instituteurs. Elle pouvait lancer le Jean Coste.

On a dit : Je ne puis m’intéresser à Jean Coste ; il est prétentieux, poseur, mièvre.

Nous savons de reste comme il est. Il n’est pas parfait. Il n’est pas un saint. Il est un homme. Il est un instituteur de village. Il est comme il est. Aux vertus que l’on exige des pauvres, combien de critiques et combien d’éditeurs seraient dignes d’être des maîtres d’école ?

On veut qu’il soit parfait. On ne voit pas que c’est la marque même de la misère, et son effet le plus redoutable, que cette altération ingrate, mentale et morale ; cette altération du caractère, de la volonté, de la lucidité, de l’esprit et de l’âme. Ceux qui font de la philanthropie en chambre, et qui sont, à parler proprement, les cuistres de la philanthropie, peuvent s’imaginer que la misère fait reluire les vertus. On peut se demander alors pourquoi ils combattent la misère. Si elle était pierre ponce, ou tripoli à faire briller les vertus précieuses, il faudrait la développer soigneusement. En réalité la misère altère, oblitère les vertus, qui sont filles de force et filles de santé.

On dit qu’il est faible, et que fort il pourrait s’évader de son bagne. Ceux qui font du moralisme en chambre, c’est-à-dire, à parler proprement, les cuistres de moralité, peuvent s’imaginer que la misère fait un exercice de vertus. C’est la pesanteur et c’est la force inévitable de la misère qu’elle rend les misérables irrémédiablement faibles et qu’ainsi elle empêche invinciblement les misérables de s’évader de leurs misères