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mêmes. Dans la réalité la misère avarie les vertus, qui sont filles de force et filles de beauté.

La misère ne rend pas seulement les misérables malheureux, ce qui est grave ; elle rend les misérables mauvais, laids, faibles, ce qui n’est pas moins grave ; un bourgeois peut s’imaginer loyalement et logiquement que la misère est un moyen de culture, un exercice de vertus ; nous socialistes nous savons que la misère économique est un empêchement sans faute à l’amélioration morale et mentale, parce qu’elle est un instrument de servitude sans défaut. C’est même pour cela que nous sommes socialistes. Nous le sommes exactement parce que nous savons que tout affranchissement moral et mental est précaire s’il n’est pas accompagné d’un affranchissement économique.

C’est pour cela qu’avant tout nous devons libérer Jean Coste, ainsi que tous les miséreux, des servitudes économiques.

On confond presque toujours la misère avec la pauvreté ; cette confusion vient de ce que la misère et la pauvreté sont voisines ; elles sont voisines sans doute, mais situées de part et d’autre d’une limite ; et cette limite est justement celle qui départage l’économie au regard de la morale ; cette limite économique est celle en deçà de qui la vie économique n’est pas assurée, au delà de qui la vie économique est assurée ; cette limite est celle où commence l’assurance de la vie économique ; en deçà de cette limite le misérable ou bien a la certitude que sa vie économique n’est pas assurée ou bien n’a aucune certitude qu’elle soit ou ne soit pas assurée, court le risque ; le risque cesse à cette limite ; au delà